J.-P., cardinal Ricard
Comment va l’Eglise de France ?
Elle a ses fragilités, mais également beaucoup de dynamisme qui se vérifie dans trois lieux particuliers : Le nombre de catéchumènes adultes qui demandent le baptême chaque année en est un. Je suis toujours frappé de voir que l’Esprit Saint les a rejoints dans leurs vies, parfois complexes. Face à cela, je me dis : pourquoi aurais-je peur de l’avenir puisque le Christ est présent avec nous dans la barque ?
Le deuxième signe de vitalité, ce sont tous ces chrétiens qui prennent leur part à la vie ecclésiale, conscients que l’avenir très concret de l’Eglise dépendra de leur engagement. En disant cela, je pense aux communautés paroissiales mais aussi aux communautés nouvelles où les gens redécouvrent à la fois la joie de la vie chrétienne, mais aussi sa dimension apostolique.
Enfin, je note comme un signe très positif le désir de formation des laïcs.
Quelles sont en revanche ses fragilités ?
La question des vocations sacerdotales et religieuses demeure une grande préoccupation, si ce n’est la première.
Je remarque également qu’après toute une génération de militants chrétiens engagés sur le plan social, culturel ou politique, les chrétiens aujourd’hui y paraissent moins présents. Ce n’est pas sans rapport avec la grave crise des valeurs à laquelle l’Eglise a été confrontée après mai 68, et qui a touché de plein fouet la transmission du patrimoine chrétien. Nous réalisons aujourd’hui que nous sommes sur le terrain d’une nouvelle évangélisation, dans le sens où il y a toute une génération qui n’a pas été en contact direct avec la foi et la culture chrétienne.
Cette question de la transmission du patrimoine chrétien était-elle au cœur des débats de votre dernière assemblée des évêques à Lourdes ?
Bien sûr. C’est une question que nous abordons depuis une dizaine d’années, notamment à travers les dossiers de la catéchèse – comment la penser dans une dynamique missionnaire ? – et celui de l’enseignement catholique. Pour celui-ci, entre sa mission de proposer un enseignement chrétien et de rester ouvert à tous, l’équilibre est parfois difficile à trouver.
Vous évoquiez la discrétion des chrétiens. On sent pourtant l’Eglise plus soucieuse de s’immiscer dans le débat public… Est-elle écoutée ?
Je sens une attente d’un certain nombre de catholiques pour que les évêques donnent des éléments de réflexions, des points de repères. Et plus d’une fois, les politiques eux-mêmes nous ont rappelé l’importance de nos prises de positions. Elles sont attendues même si elles ne sont pas toujours suivies. S’il n’y a pas de prise de parole, on nous reproche nos silences !
Ces prises parole n’ont pas d’autre but que d’éclairer les consciences et d’aider à la réflexion. Concernant les élections, par exemple, nous n’avions pas à donner de consignes de vote. L’Eglise n’entend pas devenir un lobby. Mais dans la société pluraliste qui est la nôtre, elle souhaite donner un message sur l’homme, aussi clair que possible, à tous les hommes, catholiques ou non, qui partagent un certain nombre de valeurs comme le respect de la vie, le mariage, l’accueil de l’étranger…
Avec la baisse des vocations et le vieillissement du clergé, se pose alors la question de l’articulation entre prêtres et laïcs… Comment la voyez-vous ?
Je pense qu’il est important qu’il y ait des directives et un accompagnement diocésain, et même épiscopal, pour aider à ce que se mette bien en place une coresponsabilité qui respecte la mission de chacun. Il faut également que les laïcs soient accompagnés par une formation. Dans un monde où le christianisme est sans cesse interpellé, critiqué ou sollicité, les chrétiens doivent de plus en plus pouvoir rendre compte de leur espérance à tous ceux qui les questionnent. Il y a tout un travail de formation – de catéchèses d’adultes par exemple - à mettre en place ou à approfondir pour que le peuple chrétien ait les mots de la foi.
Les laïcs, c’est l’avenir de l’Eglise ?
Pour moi, l’avenir de l’Eglise, avec la grâce de l’Esprit saint, ce sont les communautés chrétiennes qui se prennent en charge elles-mêmes. Et se prendre en charge, cela veut dire prendre en charge les différents services de la vie paroissiale, se sentir responsable du rassemblement des chrétiens. C’est d’autant plus important que le mouvement de la société ne pousse pas à cette appartenance à la vie ecclésiale.
Parallèlement à la sécularisation de la société, on sent une tentation identitaire assez forte chez les jeunes catholiques. Comment l’expliquez-vous ?
Ce mouvement me paraît tout à fait normal. Si ces jeunes ressentent le besoin de ne pas rester seuls, c’est qu’ils ont compris combien le climat dans lequel ils vivent peut être nocif pour la foi et la vie ecclésiale. Face à cela, il me semble bien naturel que des jeunes retrouvent la dimension communautaire comme fondatrice pour vivre la foi. Ils ont besoin de se soutenir dans la foi et de se former pour comprendre exactement en quoi, en qui ils croient.
Autrefois, il y avait un mouvement sociologique qui vous poussait à l’église le dimanche. Aujourd’hui, le mouvement vous pousse dans le sens inverse. Vous êtes donc appelés à avoir un christianisme de convictions et non plus seulement d’habitudes.
Ce souci identitaire me paraît juste à condition toutefois qu’il n’enferme pas les catholiques dans une forteresse assiégée ni ne les conduise à vivre en circuit fermé. Chacun est appelé à avoir une parole de témoignage là où il vit.
Cette année a été marquée par la création de l’Institut du Bon Pasteur dans votre diocèse… Comment cela se passe-t-il ?
Les relations sont plus apaisées. Des ordinations ont eu lieu et la vie se poursuit… Quant à la relation au Concile Vatican II, peut-on passer aujourd’hui dans l’Eglise d’une confrontation polémique à une confrontation fraternelle ? Je l’espère. C’est l’avenir qui dira si cela peut se réaliser.
Où en est le Motu Proprio visant à libéraliser la messe dite tridentine ?
Il faut poser la question au Pape ! Et ne pas perdre de vue, surtout, que la question de fond concerne davantage l’accueil du Concile Vatican II. Cela reste un des points sensibles chez les fidèles qui ont suivi Mgr Lefevbre. Tant qu’ils considèreront la tenue du Concile comme l’entrée des « fumées de Satan» dans l’Eglise, la pleine communion avec eux demeurera difficile.
Votre mandat à la tête de la CEF s’achève en novembre. Même si l’heure du bilan n’est pas encore venue, quels accomplissements à la Conférence des Evêques vous rendent le plus heureux ?
Ce qui me réjouit par-dessus tout, c’est la plus grande collaboration qu’il y a entre les évêques des différents diocèses dans le cadre des différentes provinces La réforme de notre conférence, et la création en 2002 d’une instance de dialogue entre l’Eglise et le gouvernement sont aussi quelques-uns des points forts de ces six années.
Une rumeur persistante vous donne régulièrement partant pour Rome… Est-ce envisageable ?
Ah, les rumeurs…
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Connaissez-vous Saint-Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Saint-Antoine de Padoue est à mes yeux un prédicateur spirituel qui a marqué son temps par cette prédication de l’amour de Dieu, d’un Dieu qui reste très proche de l’homme. Son message, c’est le cœur de l’Evangile.
Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
J’y suis passé très rapidement, mais j’ai bien l’intention d’y retourner !
A quel moment vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Il n’y a pas de moment particulier où je me sentirais plus proche de Dieu puisque les signes de sa présence me sont donnés à des instants très différents de ma journée et de ma vie. Il faut signaler pourtant, la célébration quotidienne de l’Eucharistie qui me plonge plus profondément dans la présence du Christ.
Comment priez-vous ?
Je prends du temps le matin pour la méditation, en m’inspirant de l’Evangile. Pour m’aider dans la prière, il m’arrive également de lire un livre spirituel. Puis j’ai l’office du bréviaire et l’Eucharistie qui sont les temps forts, auxquels j’ajoute, quand le temps me le permet, le chapelet.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux depuis un an ?
Un des temps forts a été très certainement le moment où le Pape m’a fait cardinal, lorsqu’il m’a remis cette nomination et l’anneau, signe de cette distinction. Distinction que je prends comme un appel à vivre plus intensément la collaboration avec le successeur de Pierre.