Guérande, son sel... et sa collégiale Saint-Aubin
Faites-vous comme moi? Lorsque nous nous rendons dans un supérette ou dans un supermarché si, consultant la liste des achats à effectuer, nous y découvre le mot beurre, nous allons dans l'allée appropriée et ne manquons pas d'acheter, s'il est proposé à la clientèle, du beurre au sel de Guérande. I1 est tellement bon... Mais, bien sûr, il convient de ne pas en abuser.
Les paludiers au travail
Partant du Croisic pour Guérande - nous sommes bien sûr en Loire-Atlantique - notre route traverse les marais salants, énorme étendue formée de bassins délimités par des petits talus de terre argileuse, dénommés fossés. C'est un paysage que l'on redécouvre toujours avec plaisir et curiosité.
Les hommes qui travaillent ici sont les paludiers. Depuis plus de 1000 ans, ils ont façonné cette fragile mosaïque d'argile et d'eau qui constitue ce patrimoine unique que sont les Marais Salants de Guérande. Dans ce milieu, nous explique un connaisseur, l'homme trouve naturellement sa place. En produisant du sel, le paludier contribue à maintenir la richesse écologique de ce lieu d'accueil privilégié pour de nombreuses espèces d'oiseaux sédentaires ou migrateurs. Et il ajoute : S'il fut quelque peu délaissé à l'époque où la production de masse était au goût du jour, le sel de Guérande, parfum de terroir, a retrouvé ses lettres de noblesse dans les cuisines des plus grands chefs, grâce au Gros Sel et à la Fleur de Sel.
Nous avons donc raison de préférer le beurre au sel de Guérande... Et cette marche à travers le décor surprenant que nous offre les marais ne vous décevra pas.
Des remparts du XVe siècle
Nous voici en vue des remparts de Guérande. La cité chérie des ducs de Bretagne domine deux pays aux contrastes marqués : le Pays Blanc, celui du sel et des marais salants d' où nous arrivons; le Pays Noir, celui de la tourbe et du Parc Naturel Régional de Brière. Depuis le XVe siècle, cette cité de quelque 10 000 habitants, est entourée de remparts qui ne comportent aucune brèche et qui sont flanqués de six tours. Entrepris en 1343, la suite du sac de Guérande par les troupes de Charles de Blois, ces remparts ne seront achevés que 150 ans plus tard et inaugurés sous le règne du duc breton François II, père d'Anne de Bretagne. S'étendant sur 1434 mètres, cette enceinte est percée de quatre portes (Saint Michel à l'Est, Vannetaise au Nord, Bizienne à l'Ouest, de Saillé au Sud) que nous retrouvons telles qu'elles ont été depuis leur construction.
Par la porte puis la rue de Saillé, allons à la rencontre de la collégiale Saint-Aubin, pour laquelle nous sommes venus à Guérande. Cette vaste église qui domine de sa masse et de son élévation le pays guérandais est un des joyaux de la ville, voire de la région. Avec 400 000 entrées en moyenne par an, elle est, après la cathédrale de Nantes, le monument le plus visité de la région.
Saint Aubin ? Collégiale ?
Pourquoi Saint-Aubin ? Au VIe siècle, les Bretons avaient fui l'invasion saxonne et s'étaient réfugiés en Armorique. Vers 570, l'officier breton Waroc'h conquit la région et fonda un lieu de culte chrétien à l'emplacement du chœur de la Collégiale actuelle, avec un baptistère et une nécropole. Des maisons s'édifièrent autour. Ce fut le début de la ville actuelle. L'église fut placée sous le vocable du Saint Evêque d'Angers, Aubin, mort en 556 et qui était né sur le territoire du pays de Guérande.
Pourquoi Collégiale ? Après les invasions normandes, l'émigration bretonne se développa. Nous sommes au IXe siècle. Une nouvelle église est construite à la place de l'ancienne, détruite. Vers 860, les Bretons installent à Guérande un évêque du nom de Gislard. L'église devient cathédrale. Pour peu de temps. Sous la pression des Francs, le roi Salomon lui retire son soutien. Plus tard, fut fondé, comme une consolation pour les Guérandais, un collège de chanoines qui exista jusqu'à la Révolution. D'où le nom de Collégiale donné à l'église de Guérande. Ce collège de chanoines garda jusqu'en 1790 juridiction sur quinze paroisses entre la Loire et la Vilaine et en nomma les desservants.
Après une nouvelle invasion des Normands qui pillent et détruisent tout sur leur passage, revient une ère de prospérité, de tranquilité. Au cours du XIIe siècle se bâtit une belle et vaste église, qui s'appuie sur quatre gros piliers de huit colonnes. Cette ère paisible est de courte durée. La sanglante guerre de succession de Bretagne amène les Espagnols et les Génois à raser et à brûler, en 1342, la cité de Guérande. De l'église romane, il ne reste que les huit piliers que nous allons voir. Le traité qui devait mettre fin sera signé en 1365 au milieu des ruines de l'église.
Le passé au présent
Il faudra attendre la fin du XIVe siècle pour voir le départ de la reconstruction. On conserve les piliers romans. On élève les murs. On commence le transept Sud, puis les quatre énormes piliers à base carrée ou octogonale qui soutiennent la croisée du transept et, par surcroît, le clocher central. A la fin du XVe siècle, sous les règnes fastueux de François II et de la Duchesse Anne seront terminés le chœur de l'église et le chevet avec ses grandes verrières. Interrompus par les guerres de religion, les aménagements de la collégiale reprendront dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Les clochers seront édifiés.
Peu de dégâts pendant la Révolution. Les vitraux furent endommagés par des jets de pierre. L'église resta fermée de 1794 à Pâques 1802. Divers travaux seront réalisés au cours du XIXe siècle et l'église, consacrée en 1885.
Ces épisodes du passé sont présents en nos têtes quand, après nous être arrêtés devant la chaire extérieure visible sur le contrefort gauche de la façade occidentale qui, du XVe siècle, est un type de tribune rarissime en Bretagne, nous pénétrons dans la Collégiale pour découvrir, admirer et nous recueillir. Nous écoutons. Nous lisons. I1 y a tellement à voir. Construit au XVe siècle, le porche du baptistère est la principale entrée. Admirons sa composition extérieure de style gothique flamboyant et son ornementation intérieure de style Renaissance. Les piliers romans de la nef centrale sont ornementés de chapiteaux à motifs végétaux ou historiés : martyr de saint Etienne, de saint Simon, de saint Laurent... A voir aussi et admirer les stalles en bois sculpté de 1650 ; les nombreux vitraux, du XIVe (vitrail Saint-Pierre) au XIXe siècle ; la chapelle basse du début du XIVe siècle et qui a pu abriter un trésor ; le sarcophage en granit avec son couvercle en bâtière orné... On peut venir et revenir dans cette Collégiale classés monument historique depuis... l856.
Un message très actuel
Mais une église n' est pas un musée. Si on la visite comme un monument historique, on risque de n'y rien comprendre. L'église est expression de foi et lieu de rassemblement, nous est-il expliqué. Ce n'est jamais un espace ordinaire, ni stade, ni théâtre, ni salle de réunions banale. Tout est fait pour orienter vers Dieu. Tous les éléments : mobilier, tableaux, vitraux, statues... ont pour objectif de conduire à Dieu. L'église est un espace de recueillement et de transfiguration. On doit en y entrant être saisi tout entier. Les artisans du Moyen Age cherchaient à faire pressentir les vérités essentielles, universelles et invisibles.
Dans la Collégiale construite en forme de croix et orientée vers l'Est, direction du soleil levant, comme toutes les églises de la même époque, ce message vers la lumière du Christ Ressuscité s'adresse aux paroissiens de Guérande bien entendu, mais aussi à tous ceux - ils sont nombreux - qui viennent la visiter et y prier.
Ce message, me fait remarquer une Guérandaise, parvient encore mieux à tous dans la Collégiale quand s'y fait entendre La Voix des Orgues qui organise des concerts le vendredi en Juillet et en Août et qui nous annonce, pour le 23 novembre, un autre concert donné par la Maîtrise de la Perverie de Nantes.
I1 est vrai que cet orgue qui ne comportait que 30 jeux lors de son inauguration en 1955 et qui, depuis 1982 où furent achevés les travaux, en comporte 46 a fière allure. Dans la Collégiale, il n'y a pas de tribune pour 1'accueillir. I1 lui a été réservé un emplacement de choix, au pied de la grande verrière, au fond du chœur.
Admirons-le une fois encore avant de quitter la Collégiale, avec l'espoir de venir un jour l'entendre.