Grégoire Ahongbonon

21 Octobre 2008 | par

Le 14 novembre, la VIe édition du “Prix International Saint-Antoine” attribuera un prix spécial à Grégoire Ahongbonon, pour son action en faveur des handicapés mentaux au Bénin et en Côte-d’Ivoire. Une histoire extraordinaire de foi et d’humanité. Rencontre.



C’est pour avoir cherché Dieu dans les pauvres, dans les abandonnés, que je peux parler d’eux comme je le fais aujourd’hui ; mais avant d’en arriver là, beaucoup de choses se sont passées dans ma vie. Originaire du Bénin, marié, père de 6 enfants, j’ai eu la chance d’avoir un père chrétien et de recevoir le baptême dans mon enfance. J’avais une grande foi en Dieu, j’aimais beaucoup l’Eglise, puis, vers ma vingtième année, en Côte-d’Ivoire, j’ai appris mon travail de réparateur de pneus et j’ai gagné beaucoup d’argent ; et face à la fortune et aux plaisirs de la vie, j’ai abandonné Dieu et l’Eglise. Mais ça n’a pas duré longtemps : j’ai eu des problèmes économiques et à la fin j’ai tout perdu, y compris les amis... Il ne me restait plus que ma femme et mes deux enfants, et c’est dans cette épreuve que j’ai retrouvé le chemin de l’Eglise et compris que vivre en ne pensant qu’à soi, c’est être hors de la vie. 



Puis vous avez commencé à vous occuper de malades…

En effet, revenu à l’Eglise, le prêtre qui m’a accueilli m’a dit au cours d’un pèlerinage à Jérusalem : « Chaque chrétien doit participer à la construction de l’Eglise en posant sa propre pierre. » Cette phrase m’a travaillé et j’ai compris que l’Eglise n’est pas seulement l’affaire des prêtres, des religieux et religieuses, mais de tous les baptisés et je me suis demandé : « Quelle est la pierre que je vais pouvoir poser ? », et l’idée m’est venue de mettre sur pied un petit groupe de prière, avec huit personnes. Un jour, un des membres du groupe est venu nous dire : « Il y a un enfant gravement malade dans le quartier. Pouvons-nous prier pour lui ? C’est une famille musulmane... » J’ai répondu : « Qu’il soit musulman ou pas, l’essentiel est que la famille accepte. » Nous avons visité le malade ; nous avons prié pour lui ce jour-là et les jours suivants et quelque temps après l’enfant était complètement guéri. « Dieu a donc besoin de moi quelque part », me suis-je dit et avec le groupe, nous avons commencé à visiter les malades à l’hôpital. C’est ainsi qu’est né l’Association Saint-Camille de Lellis.

Chez nous, en Afrique, un malade qui va à l’hôpital doit tout payer : consultations, médicaments, lit, tout. Avant de commencer à prier, il fallait donc manifester notre amour et sitôt que mon travail de réparateur de pneus a recommencé à marcher, avec l’argent que je gagnais nous avons payé les médicaments et la nourriture pour les malades. Nous avons aussi aidé des mourants à mourir dignement, comme des hommes. C’est là que j’ai compris pourquoi Jésus Christ s’est identifié aux pauvres et aux malades et à partir de là est né mon désir de chercher Dieu dans les pauvres et les malades…



Des prisonniers et des malades mentaux surtout...

Oui, ce fut ensuite l’appel des prisons, car comme Jésus Christ s’est identifié aux pauvres et aux malades, il s’est identifié aussi aux prisonniers. Avec notre groupe, nous avons visité les prisons, surpeuplées : 500 personnes là où il n’y avait de place que pour 200. Il n’y avait pas de toilettes, pas d’infirmiers ; quand un prisonnier était malade, on l’isolait. Alors je me suis dit : « Quel que soit le mal qu’ils ont fait, ce sont des hommes ! Nous devons respecter la dignité de tout homme. » Et petit à petit, nous avons pu remettre les toilettes en état, former des infirmiers, trouver les médicaments. Depuis 1986 jusqu’à aujourd’hui, c’est l’association qui continue de soigner les prisonniers.

Et depuis 1998, ce sont les malades mentaux qui préparent la nourriture pour les prisonniers. Car, en 1990, notre désir d’aller vers les pauvres nous a conduits vers les malades mentaux.

Ce genre de malades sont représentés comme une honte en Afrique. Abandonnés de tout le monde, ils errent nus dans les rues, mangent dans les poubelles, sont considérés comme des ordures humaines. Tout le monde en a peur. Moi aussi. Mais un jour, en voyant un de ces malades, nu, en train de fouiller les poubelles, je me suis arrêté, je l’ai regardé et me suis dit : « C’est Jésus que je cherche dans le groupe de prière ; c’est Jésus que je cherche dans les églises, mais c’est Lui, Jésus en personne, qui souffre à travers ce malade. » A partir de ce jour-là, tous les soirs, toutes les nuits, je marchais dans les rues pour voir où ils dormaient et pouvoir les rencontrer et j’ai compris que c’était des gens qui cherchaient à être aimés, comme tout le monde. Alors, avec mon épouse, nous avons commencé à préparer du riz et à leur distribuer à manger.

Mais il fallait faire plus : les amener dans un hôpital, payer la nourriture et les médicaments, créer notre propre centre et sur un terrain de 2 400m2 que nous avons pu obtenir, nous avons construit notre premier centre et recueilli tous les malades…

En voyant nos résultats, les prêtres des villages et les religieuses ont commencé à faire appel à nous et c’est là que nous avons découvert la torture. Les malades mentaux sont comme Jésus Christ en croix, les deux bras étendus et les deux pieds bloqués par des fers, pourris, avec des vers… Nous sommes allées les libérer de leurs entraves, nettoyer les plaies, soigner les blessures, leur redonner leur dignité d’homme et progressivement, la mentalité a changé : les gens n’enchaînent plus les malades, bien que ceux-ci restent, en Afrique, les oubliés de la société, du pouvoir et des gouvernants. En Côte-d’Ivoire, pour 17 millions d’habitants, il n’y que deux hôpitaux psychiatriques ; au Bénin, un seul hôpital pour 7 millions d’habitants.



Peu de gens, en effet, même parmi les ONG, s’occupent des malades mentaux, en Afrique et ailleurs. Cette peur n’est-elle pas transversale ? N’avons-nous pas tous besoin d’en être guéris ?

Oui, les malades mentaux, même en Europe, sont oubliés, ils n’ont pas de contacts, pas de rapports de travail, pas d’organisme qui prenne souci d’eux, qu’ils soient Africains ou Européens. Car si en Afrique, nous voyons des entraves, en Europe il y a d’autres formes d’enchaîner les malades, comme une psychiatrie trop poussée, des montagnes de médicaments, des mentalités de refus. Pourtant, il est plus facile de vivre avec les malades mentaux qu’avec les bien-portants. Moi, je ne suis qu’un pauvre petit réparateur de pneus ; mais face à un malade, il faut s’intéresser à l’homme, et le soigner.



Pouvons-nous proposer votre œuvre comme modèle ?

Depuis des années, là où je passe, beaucoup de bonnes volontés nous aident à avancer. Mais notre idée, c’est d’être autosuffisants ; peut-être saint Antoine m’aidera-t-il à trouver des solutions. Chaque fois que je passe dans sa basilique, je lui fais une visite et une prière.



 

Updated on 06 Octobre 2016