François Rabelais
A la fois libre penseur et chrétien sincère, ami des rois et esprit subversif, philosophe et conteur facétieux, Rabelais est un personnage complexe. Le 450e anniversaire de sa mort offre l’occasion de retracer sa vie, son portrait et son œuvre qui échappe à tout classement.
Rabelais naît sans doute en 1483 – encore que la date de 1494 ait été parfois proposée – à la métairie de La Devinière, près de Chinon. Son père, Antoine Rabelais, est sénéchal et avocat royal. Son enfance, il la passe dans cette Touraine qui va laisser dans son œuvre tant de souvenirs et de noms familiers. Mais la première expérience qui ait compté dans sa formation est celle de la vie religieuse et monastique à laquelle son père l’a destiné.
Son parcours intellectuel
Vers 1510, il entre comme novice chez les Cordeliers de la Baumette, puis de Fontenay-le-Comte. Il trouve des livres de grec et se passionne pour cette langue ancienne. Mais sa curiosité intellectuelle n’est guère appréciée par un ordre qui ne l’est pas. On lui retire ses livres. Il passe alors, en 1524, chez les Bénédictins de Maillezais, dans un milieu plus cultivé. Il étudie la littérature grecque, source d’idées, de citations et de termes pittoresques qui lui serviront plus tard dans son œuvre, étudie le droit, acquiert des connaissances en histoire naturelle et en médecine. Il a la chance de rencontrer à Maillezais l’évêque Geoffroy d’Estissac, qui va le protéger et l’emmener dans ses déplacements.
Il écrit déjà et son style, sa richesse verbale, son habileté dans le maniement de la phrase, sont étonnants. Rabelais a une autre passion dans la vie : la médecine. En septembre 1530, pour suivre des cours à l ‘université de Montpellier, l’une des plus célèbres à l’époque, il quitte l’habit de moine, sans autorisation ecclésiastique, ce qui lui vaut une condamnation pour apostasie. (1)
De la médecine à la littérature
Très rapidement, après seulement deux mois de cours, il est admis comme bachelier, ce qui prouve que ses connaissances étaient largement suffisantes pour obtenir son diplôme. Et pour cause : les théories médicales de l’époque s’appuyaient essentiellement sur les textes des auteurs grecs Galien et Hippocrate. Rabelais connaissait fort bien leurs œuvres.
C’est d’ailleurs en étudiant Hippocrate que Rabelais développe une thèse sur la thérapeutique du rire et du burlesque, théorie qui a évidemment fortement marqué son œuvre tout entière, une œuvre qui fait à la fois rire et réfléchir…
En novembre 1532, François Rabelais est nommé médecin à l’hôtel-Dieu de Lyon, ville ouverte et vivante, où il rencontre imprimeurs et poètes. Au cours de cette même année 1532, il publie, d’une part, des éditions savantes d’Hippocrate et de Galien et, d’autre part, son premier roman, un livret populaire et facétieux intitulé Les Horribles et Espouvantables Faicts et Prouesses du très renommé Pantagruel, Roy des Dipsodes, fils du Grant Gargantua, chronique truculente de la vie et des exploits d’un géant aux appétits joyeux, œuvre qu’il signe Alcofrybas Nasier, anagramme de son nom et de son prénom.
Rabelais condamné à quitter la France
Son Pantagruel est condamné par la Sorbonne comme livre obscène et hérétique. Certes, le vocabulaire de Rabelais peut être grivois ! Et il ne ménage pas les institutions religieuses. On voit bien à qui Rabelais en veut ! Qu’il s’en prenne aux rois belliqueux, aux théologiens intolérants, aux juges corrompus, aux maîtres retardataires, aux bigots hypocrites, aux cardinaux ou aux moines inactifs : le mensonge, la lâcheté, l’égoïsme, la cruauté sont ses principales cibles.
Cependant, devant ces accusations, Rabelais doit quitter la France. Cet esprit curieux de tout est fait pour le voyage. L’évêque Jean du Bellay, en partance pour l’Italie, a besoin d’un médecin et en 1534, il propose à Rabelais de l’accompagner jusqu’à Rome. C’est le premier des trois séjours que Rabelais fera dans ce pays. Rabelais aura le temps d’observer les intrigues de la cour pontificale, les démêlés diplomatiques et la rivalité entre l’empereur Charles Quint et le roi de France. C’est lors de ce séjour en Italie que Rabelais fait régulariser son état. Il adresse au pape Paul III une supplicatio pro apostasia, c’est-à-dire une réparation de la faute qu’il avait commise en abandonnant le froc et en embrassant la profession médicale. Un bref du pape Paul III, daté de janvier 1536, lui accorde une absolution pleine et entière, l’autorise à reprendre l’habit de Saint-Benoît et à rentrer dans un monastère de cet Ordre où l’on voudra bien le recevoir et lui permet à exercer, conformément aux règles canoniques, l’art de la médecine.
Nouvelles œuvres, nouveaux déboires
Durant ces années, Rabelais n’arrête pas d’écrire. Trois autres livres paraîtront encore. En 1535, il publie son deuxième livre, Gargantua. Suivront le Tiers Livre et le Quart livre en 1542 et 1552. Tous sont condamnés par la Sorbonne et les théologiens pour hérésie. Malgré la protection de plusieurs personnalités de l’époque, dont le roi François Ier, quelques évêques ou cardinaux, Rabelais doit à plusieurs reprises quitter la France et se réfugier dans l’Empire germanique ou en Italie.
Rabelais, penseur éclectique
Rabelais est également connu comme un de ces catholiques attristés par les défaillances de l’Eglise de l’époque, l’absence de vocation dans le clergé, l’ignorance des moines et qui ont cherché à y remédier en revenant aux textes sacrés et à une foi moins superficielle.
Il apparaît comme un penseur éclectique. Aux stoïciens, il emprunte l’idée d’une collaboration active avec la Providence ; aux épicuriens, les bienfaits du plaisir ; à Platon, le personnage de Socrate et la valeur du dialogue ; à Aristote, une confiance en la nature, capable de reproduire les espèces et de transmettre fidèlement les formes de la vie.
Rabelais croit en l’Evangile, mais ne croit pas aux inventions humaines et ne fait pas confiance aux ecclésiastiques et autres. A cet égard, son irrespect est sans limite et son œuvre profondément subversive. Mais s’il les critique avec âpreté, c’est pour défendre ce en quoi il croit profondément : le rapport confiant entre Dieu et ses fidèles. Les dernières années de cette vie mouvementée sont assombries par la peur de la répression et de la censure car son message reste le même : savoir, oui, mais savoir en conscience, c’est cela l’important et il le dit haut et fort. Mais parce que, selon le sage Salomon, « sapience n’entre point en âme malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te convient de servir, aimer et craindre Dieu. »
Toutefois, l’écrivain sera bientôt hors d’atteinte : il meurt à Paris, en mars 1553.
(1) Renoncement public à la foi chrétienne ou abandon des vœux religieux. Le mot opposé est la conversion.
(2) Gargantua était un géant, héros des traditions populaires, dont Rabelais reprit le nom afin de faire bénéficier son livre de sa popularité.. Il signifie “gorge”, c’est-à-dire “goinfre”.