François, pape littéraire
Au cœur de l’été, le pape François a publié une lettre aussi inattendue que surprenante sur le « rôle de la littérature dans la formation ». Dans ce texte passé un peu inaperçu au milieu de la période des vacances, le pontife se remémore ses années de professeur de littérature au Collège de l’Immaculée à Santa Fé (Argentine), en 1964 et 1965. Ses élèves, se souvient-il, rechignaient à lire Le Cid de Corneille. Mais le jeune professeur jésuite les forçait à découvrir l’œuvre du dramaturge en prenant également en compte leur curiosité pour des textes qui leur parlaient plus, comme les poésies de l’Espagnol Federico García Lorca.
Soixante ans plus tard, le Pape assure que dans nos sociétés toujours plus obsédées par la technologie, la littérature n’est pas une « chose dépassée ». Un lecteur, souligne-t-il, reste beaucoup plus « actif » qu’un consommateur de médias audiovisuels parce que son imagination et son intelligence sont constamment sollicitées par le texte. Dans un livre, le lecteur s’aventure sur « un terrain instable où les frontières entre le salut et la perdition ne sont pas a priori définies » et où se « développent les images de la vie ». Et dès lors, « chaque nouvelle œuvre qu’il lit renouvelle et élargit son univers personnel », affirme l’évêque de Rome en citant Proust, Cocteau ou encore le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges, qu’il a connu personnellement pendant ses années d’enseignement.
L’homme qui lit, assure ensuite le Pape, évite l’écueil d’une forme d’« efficacité qui banalise le discernement, appauvrit la sensibilité et réduit la complexité ».
Contre la culture de l’immédiat, de l’optimisation qui hante les vies quotidiennes de l’homme contemporain, il faut apprendre « à ralentir, à contempler et à écouter » toute chose qui « peut se produire lorsqu’une personne s’arrête librement pour lire un livre ». En reprenant la belle image de Guillaume de Saint-Thierry, moine français du XIe siècle, le Saint-Père souligne aussi le rôle clé de la « rumination » qui se produit lors de la lecture : une forme de lente digestion d’un texte auquel nous nous sommes confrontés – moralement, spirituellement et intellectuellement – qui nous amène à nous approprier ce qui nous est donné « en saisissant ce qui va au-delà de la surface du vécu ».
C’est le cas notamment, affirme le pontife en citant C.S. Lewis, le célèbre écrivain du Monde de Narnia, parce que toute lecture consiste à « voir à travers les yeux d’un autre », et permet donc de découvrir « la merveilleuse diversité de l’être humain ».
Lire fait du bien aux prêtres
Loin de l’époque où le Saint-Siège pratiquait la mise à l’Index, le pape François s’oppose à toute culture de « l’effacement » en assurant que « la littérature n’est pas relativiste parce qu’elle ne nous dépouille pas de critères de valeur ». Au contraire, explique-t-il, lire permet d’éviter de « condamner superficiellement » son prochain comme le fait l’homme de la parabole quand il regarde la paille dans l’œil de son frère et non la poutre dans le sien. « Le regard de la littérature forme le lecteur au décentrement, au sens de la limite, au renoncement à la domination cognitive et critique sur l’expérience, lui apprenant une pauvreté qui est source d’une extraordinaire richesse », précise le pontife.
Ce grand appel à la lecture, le pape argentin le destine à tous, mais en particulier aux séminaristes et aux prêtres, qu’il exhorte à ne pas négliger cet « accès privilégié » aux mots avec lesquels s’exprime le « cœur de l’être humain ». Il insiste sur le fait que depuis ses débuts, l’Église s’est plongée dans les « abîmes » des cultures non-chrétiennes avec pour ambition de « les traverser et les illuminer » de la lumière du Christ. Car en donnant à l’homme la capacité de mieux « nommer » les choses terrestres, la littérature, affirme le Pape, est aussi un pont pour comprendre le mystère qui réside dans la Parole divine.