François, le pape de la tendresse

17 Avril 2013 | par

La simplicité est le trait distinctif de Jorge Mario Bergoglio, lequel est cependant aussi un homme de gouvernement, en mesure de saisir les besoins de la communauté, comme il l’a démontré en guidant un grand et complexe diocèse comme celui de Buenos Aires, et la famille jésuite d’Argentine.



Il a choisi le nom de François, et c’est déjà un signe éloquent. Mais le pape François en a lancé tout de suite beaucoup d’autres. Il a appelé les cardinaux « frères » en évitant de recourir à des formules curiales, comme « éminences ». Il s’est défini lui-même comme évêque de Rome, jamais comme Pontife romain, rappelant que le pape est ce qu’il est, justement parce qu’il est le pasteur de l’Église romaine, et pas vice versa. Il a demandé au peuple de prier pour lui et s’est incliné devant la foule (mais, s’il avait pu, il se serait agenouillé). Il a prié de la façon la plus simple, mais aussi la plus vraie: le Notre Père, l’Ave Maria, et le Gloria. Le soir de l’élection, il a demandé le silence à toute la place, noire de monde, qui n’a plus pipé mot, créant une atmosphère inédite et impressionnante. Il a expliqué venir du « bout du monde » pour rappeler ses origines sud-américaines, mais par cette expression, il a également voulu dire qu’il est un homme, d’une certaine façon, de la périphérie, loin du centre du pouvoir de la curie. François est issu d’une culture et d’une spiritualité ignaciennes, qui tendent vers l’essentialité évangélique et le témoignage personnel, évitant tout ornement superflu, tout ajout qui pourrait dévoyer la clarté de la parole sacrée. La simplicité est précisément le trait distinctif du pape Bergoglio, lequel est cependant aussi un homme de gouvernement, en mesure de saisir les besoins de la communauté, comme il l’a démontré en guidant un grand et complexe diocèse comme celui de Buenos Aires, et la famille jésuite d’Argentine.

La papauté se tourne vers l’Amérique Latine, en quête d’un nouveau souffle sur ces terres, aussi belles que compliquées, sur ce continent qui d’un point de vue religieux et spirituel également, est comme une marmite en ébullition, où les catholiques sont encore nombreux, vifs et résistants, mais toujours plus confrontés à de nouvelles formes de religiosité et toujours plus parcourus par des tensions.

Le pape François est un homme simple, mais sait ce qu’est la complexité. Il sait ce que signifie gouverner le navire de Pierre en mer agitée. Il a pour lui la force tranquille de l’Évangile. Il est en mesure de guider l’Église sans rhétorique, sans exclamations, mais par des gestes et des décisions essentielles. Lors des congrégations générales, avant le conclave, il a gagné l’estime et la considération avec une intervention courageuse et sincère. Courageuse, car sincère, justement.

 

La miséricorde au centre

Jorge Mario Bergoglio est entré au séminaire à 22 ans et est devenu prêtre à l’âge de 33 ans. Il n’a jamais caché être tombé amoureux d’une fille, mais par la suite un autre appel a pris le dessus et un autre amour l’a conquis.

Quand il fut nommé cardinal, il demanda à ses amis et à sa famille de ne pas le suivre à Rome et de reverser l’argent du billet d’avion aux nécessiteux. Il a fait la même chose à l’occasion de sa première messe en tant que pape. Ses mots préférés sont « fraternité », « amour », « chemin, « croix ». Mais il y en a un qui prévaut sur tous les autres : « miséricorde ». Lors de la messe célébrée dans la matinée du 17 mars à la paroisse Sainte-Anne au Vatican, il a demandé de pardonner : celui d’entre vous qui est sans péché jette la première pierre. Il a aussi dit que le Seigneur ne se fatigue jamais d’accorder la miséricorde. C’est nous qui nous lassons de demander pardon. Ce ne sont pas des formules de bon samaritain. C’est la simplicité évangélique de François, une simplicité évangélique qui déplace des montagnes. « Lorsque nous marchons sans la croix, nous sommes mondains », a-t-il dit lors de sa première homélie, dans la Chapelle Sixtine, au lendemain de l’élection. « Nous pouvons être évêques, prêtres, cardinaux, mais pas disciples de Jésus pour autant ». Il a parlé de façon spontanée, sans notes, pendant quelques minutes. Mais chaque mot est allé droit au cœur des personnes présentes. La crédibilité ne se construit pas par la rhétorique.

De lui, c’est la simplicité qui est frappante. Mais sa profonde spiritualité jésuite l’est également, et en cela il rappelle son confrère Carlo Maria Martini. Nous savons qu’il aime cuisiner tout seul et se déplacer en prenant les transports publics plutôt que les voitures aux vitres teintées. Le style fait l’homme. Il rappelle le dialecte piémontais de sa famille d’origine, et parle cet italien doux, sympathique et un peu traînant, que nous avons appris des joueurs de football argentins comme Diego Armando Maradona et Javier Zanetti.

Les Jésuites ont une spiritualité complexe, faite d’études et de témoignage, de missionariat et de curiosités, de rigueur et de témoignage. C’est le portrait du pape François. Quand je l’ai vu, en 2001, une pensée m’est venue : on dirait le jumeau de Carlo Maria Martini. Pas tant physiquement, mais de caractère, par la façon de se comporter vis-à-vis des autres. D’apparence austère, réservé, presque timide, il s’est révélé simple, humble et curieux. La curiosité est une caractéristique distinctive des Jésuites : on demande à certains spécialistes d’approfondir la connaissance de l’Écriture Sacrée, sans toutefois jamais s’éloigner de la vie réelle des personnes, sans jamais retirer dans une tour d’ivoire. D’autre part, tout comme le Turinois Martini, Bergoglio peut bien se dire piémontais. Il est bien né en Argentine, mais il n’a jamais rompu les liens avec la terre d’origine de sa famille.

 

Un pape vrai

En 2001, Bergoglio venait de devenir cardinal et s’accommodait, me semble-t-il, assez mal de cette tenue pourpre. Il craignait de se donner trop d’importance. Il porte plus volontiers le clergyman, sans signe distinctif particulier. Le seul symbole qui lui tienne à cœur est cette simple croix pectorale, faite de matériaux pauvres, sans gemmes précieuses. Je pensai : dès qu’il sortira d’ici, il ira se changer. Nous étions dans le palais apostolique du Vatican, au milieu de murs et d’un sol en marbre. Un cardinal, après avoir été nommé, reçoit ce que l’on appelle les « visites de chaleur » de la part de ses amis, de ses connaissances et d’autres prélats. Il était gentil et disponible avec tout le monde, mais il avait l’air de s’impatienter et d’être vaguement embarrassé.

Déjà à ce moment-là, le cardinal Bergoglio se considérait vieux alors qu’il ne l’était pas vraiment. Cependant, il se retranchait derrière la vieillesse pour se dérober, pour éloigner de lui la possibilité, peut-être, qu’on lui attribue une charge quelconque au sein de la curie romaine, cette curie que lui voyait comme étant un lieu fait d’officialité, de cérémonies, de pouvoir.

Je lui demandai si l’espoir, pour l’avenir de l’Église catholique, pouvait venir d’Amérique du Sud, ce à quoi il répondit que l’espoir vient de n’importe quel lieu, dès lors que le Seigneur s’y trouvait. La grande richesse de l’Église, dit-il, est la dévotion des gens simples, des fidèles, et cette dévotion doit être poursuivie par la prière et le témoignage. « L’unique vraie espérance, affirma-t-il, c’est Jésus qui peut la donner ». Nous avons également évoqué les fondamentalismes religieux, parce qu’alors le terrorisme faisait rage, et il m’a répondu que le fanatisme religieux naissait lorsque les problèmes étaient vus à travers le prisme d’idéologies politiques. De cette manière-là, l’aspect humain est mis de côté.

Comme nous l’avons dit, Bergoglio est entré au séminaire à 22 ans et est devenu prêtre à 33 ans. Il a étudié la chimie, et connaît donc le langage et la logique de la science empirique. Il est aussi supporter de football, pour le San Lorenzo de Almagro, club historique de Buenos Aires.

Il possède même une carte de l’équipe et s’est laissé photographier avec le maillot azulgrana. On ne peut être argentin sans aimer le football, et il se rappelle du nom des joueurs de quand il était petit. Il aime tous les sports, parce qu’ils rassemblent les jeunes et donnent le sens du sacrifice et de la loyauté. Quand je l’ai rencontré, par ses manières simples, il m’a rappelé  Jean-Paul Ier également. Des hommes qui, dans des lieux de pouvoir, ne se sentent pas à l’aise. Des hommes qui, comme tant d’autres papes, ont eu un rapport exceptionnel avec les fidèles. 

 

Updated on 06 Octobre 2016