Franciscains en Chine au XXe siècle
Ouvrons un atlas des missions catholiques de la première moitié du XXe siècle. La Chine nous apparaît comme un puzzle complexe et coloré. Du rouge, du violet, du vert, du bleu clair et du bleu foncé, toutes ces couleurs permettent de distinguer les Ordres religieux auxquels a été confiée l’évangélisation de la Chine. Certes, il existe déjà des prêtres séculiers autochtones et, en 1926, Pie XI consacre à Rome les six premiers évêques chinois, mais l’essentiel du travail missionnaire reste à la charge des religieux. Le rose indique les missions franciscaines. Celles-ci dessinent une sorte de guirlande à travers le pays, depuis le Shandong à l’Est (la péninsule qui s’enfonce dans la Mer Jaune) jusqu’au Hunan au Sud, en passant par le Shanxi et le Shaanxi.
Les Franciscains ont pénétré en Chine par vagues successives, à chaque fois que l’Empire entrouvrait ses frontières, et notamment après le traité de Nankin (1842). Quelques années plus tard, quand l’Ordre se reconstitue en France, des Frères demandent à partir en Chine.
Suivons l’itinéraire de l’un d’eux, André Bauer, martyr, canonisé le 1er octobre 2000. En 1898, le père François Fogolla, franciscain de la province de Bologne et missionnaire dans le Shanxi, effectue une longue tournée en Europe en compagnie de séminaristes chinois. A Paris, il apprend qu’il est nommé coadjuteur du vicaire apostolique du Shanxi, Mgr Grassi, également franciscain, et il est consacré évêque le 24 août 1898. C’est alors que le jeune cuisinier du couvent parisien, André Bauer, un frère non-prêtre originaire de Guebwiller, demande à repartir avec lui. Mgr Fogolla a également rencontré Marie de la Passion, la fondatrice des Franciscaines Missionnaires de Marie, et, du coup, sept sœurs (trois françaises, deux italiennes, une belge et une hollandaise) se lancent dans l’aventure missionnaire. Tout ce petit monde prend le bateau à Marseille, le 12 mars 1899. Avant d’embarquer, André Bauer trouve le temps d’aller visiter le musée franciscain, transporté depuis à Rome au collège Saint-Laurent-de-Brindes. Il signe sur le registre des entrées : « Frère André-Joseph, missionnaire en Chine. »
Courant mai, les religieux arrivent à Taiyuan-Foo, et se mettent aussitôt au travail. Les Franciscaines prennent en charge un orphelinat. Bientôt sœur Marie-Adolphine écrit à sa supérieure : « Je suis déjà bien habituée au Shanxi et je suis même très heureuse. Je suis toujours à la lessive, j’ai beaucoup d’ouvrage. J’ai douze ou treize petites chinoises qui m’entourent. Que puisse le divin Maître me faire la grâce de les attirer toutes à son amour. »
Mais en cette fin du XIXe siècle, dans une Chine humiliée par les nations occidentales, la secte xénophobe des Boxers trouve de nombreux soutiens et menace directement la vie des missionnaires. « Nous sommes entourés de rebelles, écrit André Bauer. Deux fois déjà, nous avons été menacés par des affiches qui portaient cette inscription : “Mort aux européens, mort aux chrétiens”. Quant à moi, je mets ma confiance en Dieu. Si dans sa miséricorde, il voulait m’accorder la grâce de mourir martyr, je désirerais que ce fût sur la croix, comme Jésus et saint André. Mais je n’en suis pas digne. Je veux, du moins, travailler à ma perfection et devenir un saint, un grand saint. » Le Seigneur a exaucé le petit cuisinier du couvent de Paris. Au soir du 9 juillet 1900, le gouverneur de la région, favorable aux Boxers, fait exécuter trois franciscains italiens (dont deux évêques), deux français (Théodoric Balat et André Bauer), les sept franciscaines, cinq séminaristes chinois tertiaires, ainsi que neuf serviteurs et familiers de la mission de Taiyan-Foo, tertiaires également. C’est la Famille franciscaine, dans ses divers états de vie et ses différentes nationalités, qui recueille collectivement la palme du martyre.
Quelques jours plus tôt, dans le Hunan, des frères italiens ont également été massacrés par les Boxers. Le 4 juillet, le père Cesidio Giacomantonio se trouve à Hengzhou, le poste central de la mission. Les rebelles envahissent la résidence. Craignant que le Saint-Sacrement ne soit profané, il court à la chapelle consommer les Hosties. Rejoint par la troupe armée, il est percé de lances, lapidé, et enfin enveloppé d’une étoffe imbibée de pétrole et jeté dans le feu. Il n’avait pas 27 ans. Lui aussi appartient au groupe des 120 martyrs canonisés de l’an 2000.
Sang des martyrs... Semence de chrétiens ! L’adage s’est vérifié en Chine pendant tout le XXe siècle. Les provinces franciscaines de France avaient reçu la charge du vicariat du Shandong oriental. De nombreux Frères, devenus chinois avec les Chinois, y ont planté solidement l’Eglise du Christ. A la mort de Mgr Adéodat Wittner (1936), le vicariat comptait 11 600 catholiques, 18 franciscains prêtres, 12 prêtres séculiers, 64 franciscaines missionnaires de Marie, plus de 200 catéchistes, un Tiers-Ordre de 400 membres, 70 écoles et des œuvres caritatives florissantes.
Les Frères Mineurs Conventuels participent également au travail missionnaire en Chine. En juillet 1925, six Frères sardes, un sicilien et un toscan se retrouvent à Assise pour y recevoir solennellement le crucifix de la mission. En novembre, ils atteignent Ankang dans la province du Shaanxi. Ils sont rapidement confrontés aux pires difficultés : épidémies, xénophobie, calomnies, brigandage, rien n’est épargné aux Frères. Avec la prise du pouvoir par les communistes, beaucoup de religieux étrangers sont arrêtés et la plupart expulsés.
En 1952, les deux derniers Frères Conventuels italiens du Shaanxi – dont le P. Francesco Faldani († 2007), qui, depuis 1947, se dédia corps et âme à la mission de Chine –, se retrouvent à Hongkong. Ils y font connaissance d’un jeune chinois, Matteo Luo qui, devenu conventuel en Italie, retournera en Chine en 1980 et y suscitera de nouvelles vocations. Ainsi, le relais de la mission s’est transmis sans interruption. Certes, on ne peut plus dresser de cartes aussi précises que dans les années 50, mais nous savons qu’à l’heure actuelle des Frères Mineurs chinois poursuivent le travail d’évangélisation.
Entre deux épreuves des JO à la télé, s’il vous plaît, une prière pour eux !