Et si les fous aidaient les toxicos... ?
Dans l’ombre, mais au cœur des projets. C’est le cas de nombreuses religieuses qui, chaque jour, sur le continent africain, travaillent dans les périphéries humaines, offrant une assistance directe aux plus pauvres. Le « dernier kilomètre », comme l’appellent les experts, se traduit par « le travail du bien ». Sœur Simona Villa est l’une de ces religieuses, parmi les plus actives en Afrique de l’Ouest. Mais ne vous attendez pas au portrait classique de la petite religieuse de certains récits missionnaires. Après des études de médecine à Milan, elle entre dans la congrégation des sœurs de Notre-Dame de la Miséricorde, puis arrive au Togo où elle est maintenant depuis de nombreuses années. Ici, elle est chef du service de chirurgie à l’hôpital Fatebenefratelli Saint-Jean-de-Dieu d’Afagnan (à environ 80 km à l’est de Lomé), qu’elle a créé de toutes pièces. La rencontre avec la Caritas Saint-Antoine s’est faite lors de travail commun sur des projets de Grégoire Ahongbonon, auxquels l’association avait participé à plusieurs reprises.
Ce dernier fut le premier à créer au Togo un réseau de soins et d’assistance pour les malades mentaux qui étaient abandonnés ou enchaînés dans leurs villages, souvent jusqu’à la mort, parce qu’on les croyait possédés par les démons. La méthode de Grégoire – accueil, soins, réinsertion sociale, spiritualité – menée au Togo et au Bénin, grâce à l’association Saint-Camille-de-Lellis, a été intégrée pas Sœur Simona dans son engagement constant auprès des malades, à l’intérieur et à l’extérieur du bloc opératoire, parce que la personne « a besoin d’être prise en charge dans sa globalité ». Rares sont ceux qui, comme elle, côtoient les rebuts de la société, les malades mentaux, et les jeunes toxicomanes que l’on retrouve dans les centres de Grégoire, avec des symptômes psychotiques. « Mais la toxicomanie, elle, doit être traitée dans des structures prévues pour cela, qui n’existent pas au Togo », dit-elle.
D’où la demande faite à la Caritas Saint-Antoine de rénover un vieux bâtiment, appartenant à l’association Saint-Camille, à Tokpli, dans la préfecture de Yoto, à la frontière avec le Bénin, pour en faire un centre de réhabilitation pour toxicomanes, en collaboration avec le diocèse d’Anetto. C’est le premier centre de ce type au Togo, avec une responsabilité institutionnelle, mais aussi humaine et spirituelle. De la réussite de ce projet dépend l’attention des autorités et donc la possibilité de créer une expérience pionnière et reproductible, et surtout d’en assurer la pérennité.
« La situation des jeunes est très grave, ils sont oppressés par la pauvreté et le manque de sens, ils tombent dans la spirale de la drogue. Ici, on trouve surtout de la marijuana, parce qu’elle est facile à cultiver, mais il y a aussi des mélanges chimiques de substances. Il n’y a aucun contrôle dans les écoles. C’est catastrophique ! Pour ces raisons, beaucoup meurent, d’autres sombrent dans la maladie mentale, d’autres encore finissent en prison. Les familles sont désagrégées et incapables de réagir. Mais le plus grand des problèmes, c’est que même s’ils trouvaient la force d’arrêter, quelles perspectives auraient-ils dans un pays où il n’y a pas de travail et où le premier problème, dès le matin est de trouver à manger pour la journée ? »
Il ne reste plus qu’une petite réponse, une percée de lumière : « J’ai conçu le centre de Tokpli comme un centre d’accueil, centré sur la toxicomanie, loin des circuits de la drogue. Il y aura 20 places, car ce sont des patients à suivre de manière particulière ». L’idée se base sur la méthode Grégoire : « Le centre sera autogéré par les patients qui, à tour de rôle, s’occuperont des tâches ménagères. À la tête du centre, nous placerons un ancien patient et ancien toxicomane, du centre Grégoire de Zooti, qui est aujourd’hui aide-soignant. Il sera secondé par un autre ancien patient, expert en agriculture, pour créer des potagers et des fermes et apprendre aux garçons un métier. Le travail est la meilleure thérapie pour éloigner les jeunes de la drogue et leur donner une perspective ».
La demande est arrivée à la Caritas Saint-Antoine le 22 juin 2023. Elle comprend la réfection de la toiture, les portes et les fenêtres, l’eau et l’électricité, les fosses septiques, la peinture, et éventuellement une « grotte mariale, comme l’aime Grégoire, parce que tout est fait au nom de Dieu ». La demande s’élève à 35 400 euros.
Le projet est finalement achevé le 14 janvier 2024, et les premiers garçons ont pu être accueillis en février dernier ; il est donc trop tôt pour en faire le bilan. Mais le plus beau, c’est la manière dont ce projet s’est conclu : « À tour de rôle, pendant ces mois, raconte Sœur Simona, nous avons emmené à Tokpli des patients du centre Grégoire de Zooti, désormais experts dans différents métiers manuels appris au centre. C’était merveilleux, même si cela demandait plus de déplacements et de vérifications, car les patients psychiatriques ont toujours besoin d’être rassurés. Mais s’ils arrivent à faire ce qu’on leur demande, ils reprennent confiance en l’avenir. Une belle opportunité de réhabilitation !
À sa compétence incontestée, Sœur Simona ajoute son grand cœur : « En plus de vous dire un grand merci, je vous demande encore une chose : l’aventure commence maintenant, et nous avons besoin de beaucoup de soutien et de prières pour que le projet puisse aider de nombreux jeunes à retrouver leur chemin ! ».