Du saint François pur jus !
Le nouveau Totum vient de paraître ! Il s’agit d’une nouvelle traduction française des écrits de François d’Assise et des sources franciscaines, dans une coédition du Cerf et des éditions franciscaines. Événement attendu des Franciscains, c’est un véritable chef-d’œuvre !
Chapeau bas ! Comme toute la critique, nous nous inclinons devant la réussite exemplaire de ce nouveau Totum* en deux volumes. Bravo à Jacques Dalarun et à toute son équipe, bravo aux Frères, aux éditeurs, aux imprimeurs et à tous ceux grâce auxquels nous pouvons disposer de cette nouvelle traduction des Sources Franciscaines – sans nul doute une référence pour le demi-siècle qui vient. Voici un bel outil qu’il ne faut pas hésiter à se procurer – c’est un investissement à long terme et son prix a été “resserré” au maximum –, mais un outil dont il va falloir apprendre à se servir.
François à l’épreuve de l’histoire
Deux frères mineurs, Damien Vorreux et Théophile Desbonnets, ont inventé le premier Totum, celui de 1968. Frères en même temps que savants : on leur faisait confiance a priori.
En 2010, un universitaire laïc préside à la réalisation de cette nouvelle traduction, dont le titre n’est plus Saint François d’Assise, documents... mais François d’Assise, Écrits.... Nuance ! On aurait pu craindre le pire : un François, dont la vie et les écrits auraient été systématiquement remis en question par des critiques scientistes et anticléricaux ! Mais c’était sans compter avec l’exigence de vérité qui anime tout vrai chercheur et à laquelle Jacques Dalarun lui-même se réfère dans son introduction générale. Et comme disciples du Christ et amis de François, nous n’avons rien à craindre de la vérité, avec ou sans majuscule.
De cette mise à l’épreuve, notre François se sort fort bien ! Grâce à des traductions plus rigoureuses, il nous apparaît plus proche, plus jeune, plus véridique. Aucun de ses écrits n’a été rejeté par les spécialistes comme n’étant pas de lui. Bien au contraire, la liste en est plus longue que dans l’ancien Totum ! D’urgence, il vous faut lire La vraie joie, le texte dont s’est inspiré le fameux épisode de La joie parfaite. Cette version plus ancienne rejoint la tragique expérience de François, mis au ban de son Ordre dans les années 1220 !
Certaines des premières “légendes” (vies) sont pour la première fois traduites en français, tandis que d’autres textes sont en quelque sorte réhabilités. C’est le cas des Fioretti. Du temps de l’ancien Totum, il était presque déconseillé de lire ces historiettes aussi poétiques qu’éloignées du « François de l’histoire ». Dans la version 2010, on ne trouve pas les Fioretti (c’est-à-dire la traduction française d’un texte en toscan), mais la traduction de son original latin, un demi-siècle plus ancien (vers 1330), les Actes du Bienheureux François. Or, d’après les spécialistes, certains passages de ce texte, « malgré les enjolivements du souvenir et de l’écriture », recèlent les traces d’épisodes authentiques de la vie de notre saint. Par exemple, dans le chapitre où le frère Massée sonde l’humilité de saint François (10). Dieu m’a choisi, déclare François, « parce qu’il n’a pas vu sur terre créature plus vile pour faire cette œuvre admirable qu’il a l’intention de faire... ». Pour Jacques Dalarun, c’est du François d’Assise “pur jus” !
Le nec plus ultra de la connaissance historique
Depuis 1968, les chercheurs n’ont pas cessé de travailler. Des centaines d’articles, tous plus savants les uns que les autres, ont été publiés dans des revues spécialisées. Une mise au point s’imposait à destination du grand public.
Le nouveau Totum nous offre les résultats les plus solides de la fine pointe de la recherche historique. De ce point de vue, je vous invite à jeter un œil sur la chronologie, sur le Petit dictionnaire des sources franciscaines ou encore sur ces témoignages historiques qui nous parlent incidemment de François et qui s’ouvrent par une minuscule inscription sur une pierre de l’ancienne cathédrale d’Assise !
Le nouveau Totum permet aussi de faire le point sur certaines questions disputées, mais non résolues...
François était-il diacre ? Vaste débat ! D’après Thomas de Celano, ou du moins sa traduction dans l’ancien Totum, François d’Assise, à Greccio, dans la nuit de Noël 1223, a revêtu les « ornements de diacre, car il était diacre », il a chanté l’Évangile et a prêché au peuple. Pourtant ce diaconat, qui n’a laissé que peu de traces dans l’histoire, a souvent été contesté. Pour les nouveaux traducteurs, François est bien diacre (ils le disent clairement en note), mais dans leur traduction, ils bottent en touche, car ils traduisent littéralement le mot latin levita (qui avait été traduit par “diacre”) par... “lévite”. François était lévite... On est bien avancé !
Les artisans du nouveau Totum ont également eu le souci de ne pas séparer François de ses Frères. C’est pourquoi ils nous proposent la traduction, pour la première fois dans leur intégralité, de deux grandes chroniques franciscaines, celle de Thomas d’Eccleston et celle de Jourdain de Giano. La première nous conte l’arrivée des Frères en Angleterre, et la seconde, en Allemagne. Deux textes absolument passionnants, souvent émouvants et même parfois drôles. En comparaison, on mesure la pauvreté de notre information relative aux premiers temps des Frères en France, entre 1217-1219 (arrivée du frère Pacifique) et 1228 (construction d’un couvent à Vauvert). Au travail, les historiens !
Du Totum à la sainteté
On pourrait chanter longtemps les louanges du nouveau Totum ! Réjouissons-nous encore de ce que François nous apparaisse débarrassé d’une certaine gangue idéologique dans lequel il était englué depuis un siècle : non, François, n’a rien d’un catholique contestataire, constamment instrumentalisé et récupéré par l’Église.
Nous sommes des privilégiés. Jamais nous n’avons disposé d’autant de sources, aussi bien présentées et traduites. Mais tous ces textes, aussi beaux soient-ils, ne pourront jamais remplacer un saint. Pour suivre Jésus à la manière de François, nous avons besoin de Frères (et de Sœurs), en chair et en os, qui soient des saints.