Diacre permanent, un ministère à part entière
Ce dimanche-là, l’homme qui lit l’Évangile au cours de la messe n’est visiblement pas un prêtre : si Denis est bien en aube, son étole n’a pas la forme habituelle, portée de côté, telle l’écharpe tricolore d’un élu. Et l’alliance qu’il porte à l’annulaire gauche montre bien qu’il ne s’agit pas d’un séminariste. Non, Denis est diacre permanent, c’est-à-dire que s’il est diacre – comme le sont les séminaristes qui doivent prochainement être ordonnés prêtres – il ne se destine pas pour autant à la prêtrise.
Depuis quelques années, les diacres permanents sont de plus en plus visibles. Il faut dire que ce ministère rencontre un certain succès et il n’est pas rare qu’une paroisse compte en son sein plusieurs diacres permanents. En France, une petite centaine d’hommes reçoit ce sacrement chaque année. Au total, ils sont un peu moins de 3 000. Succès également en Belgique francophone, avec quelque 200 diacres permanents. À travers le monde, ils sont légèrement moins de 50 000 – à titre de comparaison, les prêtres sont quant à eux plus de 414 000.
Et pourtant, le diaconat permanent n’est pas vieux dans l’Église catholique. Ou plus exactement, il n’est pas vieux dans sa forme actuelle. « Le diaconat plonge ses racines dans la vie des premières communautés chrétiennes, explique ainsi le site de la Conférence des évêques de France dédié à ce ministère. Il se cherche et se développe dans les deux premiers siècles. » Certains des premiers saints de l’Église sont ainsi des diacres : saint Étienne, saint Laurent, saint Philippe ou encore saint Daniel de Padoue. Mais, poursuit le site, « à partir du VI° siècle le diaconat tend à se concentrer sur la fonction liturgique et à devenir une étape avant d’être ordonné prêtre ».
Ni un sous-prêtre, ni un super laïc
Le diaconat permanent tombe alors dans l’oubli pendant de longs siècles – à quelques exceptions près, dont celle particulièrement notable de saint François d’Assise. Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’il commence à être repensé, réflexion qui aboutit avec le Concile Vatican II et la constitution Lumen Gentium qui énonce que « le diaconat pourra, dans l’avenir, être rétabli en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie ».
« Le diaconat est une forme nouvelle du ministère », expliquaient les évêques de France en 1970 en se saisissant de cette possibilité. « Il devra venir en complémentarité et non en concurrence avec la mission des prêtres. » Car le diaconat permanent est bien un ministère à part entière et certainement pas une version édulcorée du ministère sacerdotal. Le diacre permanent n’est en aucun cas un « sous-prêtre ». « Il n’est ni un sous-prêtre, ni un super laïc », affirme sans ambages la commission de l’épiscopat belge francophone pour ce ministère.
Avec son langage direct habituel, le pape François ne disait pas autre chose en juin 2021, en s’exprimant devant les diacres permanents du diocèse de Rome et leurs familles. « Les diacres ne seront pas des demi-prêtres, ou des prêtres de deuxième classe, ni des servants d’autel de luxe, non, il ne faut pas prendre ce chemin ». Mais alors qui sont les diacres permanents ? François répondait à cette question, en poursuivant son discours par une belle exhortation : ils « seront des serviteurs prévenants qui se donneront du mal pour que personne ne soit exclu et pour que l’amour du Seigneur touche concrètement la vie des personnes ».
La place des épouses
Par ces mots, le pape François met en application les trois « services » qu’implique le ministère diaconal : service de la liturgie, de la parole et de la charité. Ce dernier service a d’ailleurs toujours été la raison d’être même des diacres. Historiquement, ce sont en effet eux qui étaient chargés des actions caritatives de l’Église et du souci des plus démunis. De nos jours, cette attention particulière subsiste avec des missions particulièrement confiées aux diacres, comme la gestion des maraudes sur une paroisse, ou l’aumônerie d’hôpital. Pour la commission française du diaconat, le service de la charité est le « pilier » du ministère diaconal qui « colore » les deux autres (service de la parole et de la liturgie). La mission du diacre, est-il ainsi expliqué, « consiste dans l’Église à être signe de [la charité fraternelle] et à inviter ses frères chrétiens à servir ».
Malgré tout, plus d’un demi-siècle après sa réinstauration, le diaconat permanent est encore en pleine réflexion. En février 2021, la commission française du diaconat publiait une large étude. Il y est notamment relevé que près de 95 % des diacres permanents sont mariés, ce qui pose donc des questions nouvelles pour une Église latine, habituée aux ministres ordonnés célibataires et sans enfants. « Dans le quotidien, la question de leur disponibilité pour leur ministère, mais en même temps vis-à-vis de leur épouse et de leur famille reste une question toujours en tension », est-il ainsi relevé. Un point d’autant plus crucial que « le soutien humain, affectif, spirituel des épouses, qui ont été fortement associées au discernement et à la formation, est précieux ».
Outre la famille et la mission dans l’Église, la réflexion doit aussi se poursuivre sur le rapport des diacres permanents à leur travail – ils ne sont pas rémunérés par l’Église et ont donc une activité professionnelle – ou encore à leur place dans la société, notamment vis-à-vis des engagements associatifs. Pour les diacres permanents, tout peut encore être écrit. Car dans une Église vieille de deux millénaires, six décennies ne suffisent pas à définir totalement un rôle aussi important que celui d’un ministère ordonné. Et c’est heureux, car les attentes vis-à-vis des diacres permanents ne sont pas forcément les mêmes en 2023 qu’en 1964.