Des paroles en cadeau
Sont ensemble les pensées de l’esprit qui, en suivant un même procédé de raisonnement, sont disposées avec ordre et procèdent distinctement, de manière que dans son esprit l’une n’apparaisse pas supérieure à l’autre, ni l’autre inférieure à la première. Si cela se produisait, le déséquilibre lui-même serait occasion de ruine pour l’édifice des vertus.
Saint Antoine, Sermon pour le dimanche de la Pentecôte
Les paroles de saint Antoine peuvent parfois sonner pour nous comme un discours plutôt difficile. C’est le cas du passage cité ci-dessus, qui n’appartient pas forcément à notre sensibilité. Il nous invite à laisser nos pensées être « toutes ensemble ». Qu’est-ce que cela signifie ? Essayons de répondre à partir de notre propre expérience.
Nous parlons habituellement aux personnes que nous rencontrons dans notre journée : aux membres de notre famille, aux collègues, aux amis, à ceux que nous croisons dans notre quotidien. Mais nous arrive-t-il aussi de nous parler à nous-mêmes ? Il n’est pas si évident que nous sachions le faire. Certes, se parler à soi-même est parfois perçu, avec ironie ou dévalorisation, comme un comportement typique des « fous ». On dit d’ailleurs « il parle tout seul comme un fou ».
Mais se parler à soi-même peut être un moyen efficace de se détacher des sentiments que l’on éprouve, des pensées qui nous passent par la tête de manière incontrôlée. Prendre de la distance permet de ne pas être englouti par le flux désordonné de notre monde émotionnel ou nous évite d’être emprisonnés par l’enchevêtrement confus de nos divagations mentales qui risquent de se multiplier dans toutes les directions. Penser beaucoup, en effet, n’est pas nécessairement un signe d’intelligence ou de profondeur. Nous savons bien comment parfois nos pensées se ramifient et forment une sorte de labyrinthe dans lequel nous nous perdons...
Se parler à soi-même, c’est tout autre chose ! En effet, il est possible de converser avec sa propre intériorité, consciemment et librement, afin de gagner en clarté et démêler les nœuds de nos pensées. Pour ce faire, il faut distinguer en nous – pour ainsi dire – les deux sujets qui dialoguent : un « je » qui donne la parole à un flux de mille ruisseaux, qui ont besoin d’être canalisés, et un autre « je », plus équilibré et plus rationnel. Ce second « je » est évoqué par saint Antoine lorsqu’il appelle à une « règle de raison », que nous pouvons comprendre comme un regard capable de mettre de l’ordre et de procéder avec discrétion. Ainsi, nos pensées sont « toutes ensemble », c’est-à-dire qu’elles retrouvent la linéarité et l’harmonie.
Nous expérimentons tous la confusion intérieure ainsi que la tristesse, la démotivation, le manque d’enthousiasme. Un malaise ensommeillé ou déchaîné dont nous ne savons comment sortir. Le dialogue avec nous-mêmes peut alors être un bon moyen de redonner de l’élan à notre vie, à condition que ce dialogue intérieur ne redevienne un vagabondage et une divagation aléatoire. Il peut être utile de s’appuyer sur les nombreux souvenirs de moments où, grâce à la proximité de quelqu’un, nous avons pu nous relever et retrouver confiance. Cela fait chaud au cœur de se rappeler les différentes situations dans lesquelles, malgré l’extrême difficulté, nous avons réussi à percevoir une solution et un espoir. De même qu’il peut être efficace de nous dire à nous-mêmes ces mêmes paroles claires et encourageantes, pointues comme une flèche, étincelantes comme le cristal, que le Seigneur nous a déjà adressées tant de fois pour nous relever et nous montrer le chemin. Oui, le dialogue le plus libérateur que nous puissions établir avec nous-mêmes est peut-être celui qui sait faire résonner les nombreuses paroles salvifiques déjà reçues en cadeau.