Des capucins, des clarisses et… Zélie Martin
Zélie Martin, mère de Thérèse de Lisieux et dentellière surdouée du point d’Alençon, avait une franche prédilection pour les Capucins et fréquentait les Clarisses. À la veille de sa canonisation – en compagnie de Louis, son mari –, souvenons-nous que Zélie était fille de saint François.
Alençon, Carême 1876. « Nous allons avoir un capucin qui commence les instructions ce soir. Je termine ma lettre pour aller l’entendre ; qu’il prêche bien ou mal, il me plaira, parce que c’est un capucin. Rien que de les voir, ça me convertit ». Ces quelques lignes, écrites à la hâte par Zélie Martin à sa belle-sœur, n’ont pas fini de faire rougir de plaisir les Capucins ! Et de fait, les archives capucines conservent la trace d’un certain père Flavien de Blois (1836-1917), religieux du couvent de Paris (alors rue de la Santé), et prédicateur de Carême à Notre-Dame d’Alençon en mars 1876. On dispose d’ailleurs d’une photo du vénérable capucin, barbu comme il se doit. De même, dans une autre lettre écrite en février 1870, Zélie indique qu’elle « s’est levée tous les matins à 5 heures et demie, depuis plus de 15 jours, pour entendre à Saint-Léonard [une autre église d’Alençon] des Capucins qui donnaient une mission ; elle est finie aujourd’hui et je n’en suis pas fâchée, car il fait bien froid ».
Amie des Clarisses
Zélie aime donc les Capucins, et elle est capable de bien des efforts pour aller écouter prêcher ces fils de saint François. Mais ce n’est pas sa seule attache avec la famille franciscaine. Elle fréquente aussi les clarisses de la rue de la Demi-Lune. Fondé en 1501 par la bienheureuse duchesse, Marguerite de Lorraine, le monastère d’Alençon avait été fermé à la Révolution, mais quelques moniales, restées sur place, avaient réussi à reconstituer une communauté dès 1804. En 1819, elles avaient acheté un corps de ferme rue de la Demi-Lune, et elles l’avaient peu à peu aménagé en monastère. À l’époque où Thérèse voit le jour (1873), les Clarisses, ou les « Sainte-Claire » comme on les appelle familièrement, jouent à nouveau un rôle spirituel de premier plan au sein de la ville d’Alençon et du diocèse de Sées. Dès le 5 mars 1865, Zélie peut écrire : « Parmi les clarisses d’Alençon, il y a de vraies saintes ». Jusqu’à sa mort (1877), elle se rend régulièrement au monastère, seule ou avec ses filles, comme en témoigne là encore sa correspondance : « j’ai demandé aux clarisses de prier pour mon père » (novembre 1868) ; « je vais faire demander une neuvaine aux Sainte-Claire » (1873) ; « Léonie nous dit tous les jours qu’elle se fera clarisse » (1875), etc… Il est à peu près certain, que Thérèse, vers l’âge de 3 ou 4 ans, a trottiné dans la chapelle et le parloir des moniales.
Zélie,
n
tertiaire franciscaine
« Fan » des Capucins, familière des Clarisses, Zélie a sans doute un lien encore plus fort avec la famille franciscaine : selon le témoignage de deux de ses filles, elle est membre du Tiers-Ordre séculier. En 1910, lors de l’interrogatoire du procès informatif en vue de la béatification de Thérèse, Léonie (devenue sœur Françoise-Thérèse, visitandine) déclare : « Notre mère était très pieuse et s’était affiliée au Tiers-Ordre de saint François, et elle s’appliquait, dans l’éducation de ses enfants, à les former aux pratiques de piété et aux pensées de la foi ». Plus tardivement, en 1954, dans l’ouvrage que Céline (sœur Geneviève de la Sainte-Face) consacre à sa mère, on peut lire : « Notre Mère fréquentait le monastère des clarisses d’Alençon étant assidue aux réunions du Tiers-Ordre de saint François dont elle faisait partie. Les moniales de ce couvent avaient la confidence de ses intentions et de ses peines ». L’information est confirmée par le premier historien de la famille Martin,
le franciscain Stéphane-Joseph Piat.
Or, depuis 1822, une fraternité du Tiers-Ordre (à l’époque on dit encore une « congrégation ») se réunit chez les clarisses. L’artisan de ce renouveau est un homme, Jean-Pierre-Louis Mourier, maître d’hôtel à la préfecture d’Alençon, mais la majeure partie des tertiaires sont des femmes, qui, souvent, comme Zélie, exercent un métier dans la confection (brodeuse, fileuse, tricoteuse). Les archives de cette fraternité sont précieusement conservées au monastère, mais, malheureusement pour les historiens, on n’y trouve aucune trace de la vêture ou de la profession de Zélie Martin. Alors, que faut-il en conclure ? Que les témoignages des deux sœurs de Thérèse ne sont pas fiables et que Zélie n’appartenait pas au Tiers-Ordre ? Certainement pas.
En effet, au sein du monde franciscain, deux grands modes d’appartenance au Tiers-Ordre séculier ont toujours coexisté, l’un davantage communautaire, l’autre plus individuel. Le premier, encouragé par les Frères Mineurs, se manifeste par des fraternités, comme celle qui se réunit chez les clarisses d’Alençon à partir de 1822. Le deuxième se traduit par un nombre plus ou moins important, suivant les époques, de tertiaires, dits « individuels » ou « isolés », qui ont fait profession entre les mains d’un frère mineur, dans un couvent ou à l’occasion
d’une mission.
Zélie Martin a pu appartenir à cette deuxième catégorie de tertiaires. L’hypothèse est d’autant plus séduisante que lors de la visite au monastère du ministre général de l’Ordre, Bernardin de Portogruaro (en voie de béatification !), le 7 juillet 1875 (donc du vivant de Zélie), on note dans l’assistance la présence de tertiaires « individuels ».
Ce que signifie « être tertiaire » pour Zélie
En admettant que Zélie a bien été tertiaire franciscaine, on peut s’interroger sur l’impact que cet engagement a pu avoir sur sa vie spirituelle, familiale et sociale. Mais peut-être ne faut-il pas non plus surestimer cette appartenance franciscaine. Le 29 septembre 1875, Zélie confie à sa belle-sœur qu’elle est de « toutes les associations » mais que, malheureusement, elle « n’en est pas meilleure pour cela ». Être « de toutes les associations », c’était sans doute une manière pour les chrétiens de l’époque de répondre aux appels de l’Église. Zélie a sans doute été une authentique tertiaire franciscaine, mais à la manière de beaucoup d’autres à l’époque : davantage comme un signe de fidélité à l’Église que comme un engagement profond et conscient à la suite du Poverello.
Mais nul doute que sa fréquentation assidue des Clarisses ne l’ait considérablement aidée dans sa vie spirituelle. Cette fréquentation, je vous la recommande, car les Clarisses sont toujours bien présentes et bien vivantes à Alençon. Et si les voies de la sainteté passaient toujours par la rue de la Demi-Lune ?