De Beaune à Prague, la dévotion méconnue à l’Enfant Jésus
La ville bourguignonne de Beaune n’est pas connue uniquement pour ses grands crus ou ses célèbres hospices aux tuiles vernissées. Depuis le 3 janvier 2016, elle est aussi devenue un lieu spirituel qui ne cesse de gagner en popularité. Un sanctuaire dédié à l’Enfant Jésus y a en effet été érigé, confié à la communauté locale des carmélites.
L’histoire de L’Enfant Jésus à Beaune est celle d’une dévotion ancienne, qui remonte à près de quatre siècles. Elle est liée à la figure de Marguerite du Saint-Sacrement, religieuse née en 1619 dans cette ville de Bourgogne. Entrée au couvent à l’âge de 11 ans, elle reçoit de nombreuses grâces mystiques. En 1636, la France est en plein chaos, entrée en guerre l’année précédente contre l’Espagne. La région de Beaune n’est pas épargnée par la menace des armées espagnoles. La carmélite reçoit l’assurance de Jésus que la ville sera protégée des combats. Marguerite, dont l’amour pour l’Enfant Jésus était déjà très fort va donner l’impulsion à une dévotion encore plus grande, qui ira jusqu’à la cour du roi Louis XIII.
Dieu demande à la carmélite de prier pour que le roi de France puisse avoir un héritier. Dans le même temps, Marguerite fait bâtir une chapelle où adorer celui que l’on nomme déjà localement « le Petit Roi de Grâce ». Le 5 septembre 1638, Anne d’Autriche, après vingt-trois ans de stérilité met au monde celui qui deviendra Louis XIV. L’Enfant Jésus de Beaune jouit désormais d’une grande popularité. Le baron Gaston de Renty, seigneur normand, filleul de Gaston d’Orléans, frère du roi fera beaucoup, à la suite de Marguerite qu’il est allé rencontrer, pour populariser ce Petit Roi de Grâce. « L’esprit d’enfance est un état où il faut vivre au jour le jour, dans une parfaite mort à soi-même, en total abandon à la volonté du Père », écrit-il.
La « royauté » véritable
Le baron offre la statue de l’Enfant Jésus à Marguerite pour la fête de Noël 1643. Elle est conservée aujourd’hui dans le sanctuaire où chaque année convergent des milliers de pèlerins. Le 3 janvier 2016, lors de la messe d’installation des Carmélites de l’Enfant Jésus, l’archevêque de Dijon, Mgr Roland Minnerath, est venu bénir la statue vénérée. Beaune a été élevée à cette occasion sanctuaire diocésain, en plein cœur de la ville.
« La jeune carmélite va rappeler au monde que le véritable roi, ce n’est pas le Roi-Soleil, c’est le Christ ! », rappellent les carmélites de Beaune sur la page d’accueil du sanctuaire, soulignant le sens véritable de la dévotion locale. Marguerite de l’Enfant Jésus et ses sœurs contemporaines. « C’est par les mérites du Mystère de mon Enfance que tu surmonteras toutes les difficultés », confia Jésus à la carmélite en cette année noire 1636. Depuis, l’enfance et la pastorale de la famille sont au cœur de la mission du sanctuaire. L’année jubilaire du 400e anniversaire de la naissance de la vénérable Marguerite débutera en janvier prochain et devrait être l’occasion de nombreux pèlerinages.
Mille kilomètres plus à l’Est, durant les mêmes années, le culte de l’Enfant Jésus attire aussi progressivement les foules à Prague, capitale de la Bohême. En cette première moitié du XVIIe siècle, la guerre de Trente Ans n’épargne pas la ville où l’autorité impériale catholique est incarnée par l’empereur Ferdinand II de Habsbourg. En 1620, la bataille de la Montagne Blanche voit les protestants battre en retraite.
Une statuette miraculeuse
Ferdinand II, qui attribue ce succès à un carme, légat pontifical, ayant accompagné l’armée catholique, accorde à son couvent, en signe de reconnaissance, l’église de la Sainte-Trinité de la ville. Une statuette de l’Enfant Jésus y trône depuis 1628. Ses origines fascinantes montrent l’ampleur géographique de la dévotion au « prince de la crèche » à travers l’Europe de cette époque.
La statuette serait en effet originaire d’Espagne, et aurait appartenu à Thérèse d’Avila. La sainte espagnole l’aurait transmise à une amie dame d’honneur de Marie d’Autriche, infante d’Espagne et impératrice du Saint-Empire, de Germanie, de Bohême et de Hongrie. C’est la fille de cette dernière, Polyxène de Pernstein, princesse de Lobkowicz, qui l’aurait rapportée à Prague.
L’Enfant Jésus de Prague acquiert vite une réputation de statuette miraculeuse. L’histoire de sa vénération fut heurtée par les soubresauts de l’Histoire. Pendant un siècle environ, la piété populaire ne se démentit pas à Prague, puis tomba dans l’oubli, sous les assauts de Joseph II, prince héritier d’Autriche-Hongrie qui sous l’influence des Lumières fit fermer soixante-dix églises de la ville. Les pèlerinages reprennent en 1878 sous l’impulsion du cardinal Kaspar, archevêque de Prague, avant que l’Enfant Jésus fût réduit au silence, comme le reste du patrimoine spirituel de la région, par les années de communisme.
Comme un pied de nez à ces années sombres, l’Enfant Jésus de Prague donna lieu à de multiples dévotions dans d’autres sanctuaires, comme en Belgique et même jusqu’en Inde. La chute du Rideau de Fer redonnera de la vigueur aux pèlerinages et le couvent des carmes de Prague pourra de nouveau vivre sous le regard bienveillant de la petite statue aux traits joufflus. En septembre 2009 lors de son voyage en République tchèque, le pape Benoît XVI viendra se recueillir à ses pieds.
De Beaune à Prague en passant par Rome, la dévotion à l’Enfant Jésus est encore très grande sur les routes de l’Europe. « Quand on s’adresse à l’Enfant Jésus, on retrouve l’humilité, la simplicité et l’innocence d’un cœur pur, résume une sœur religieuse. » Ce qui est important dans la dévotion à l’Enfant, ce n’est pas tant la statue que le regard qu’on porte sur elle. Toutes les pratiques ne valent rien si l’on n’accepte pas de se laisser regarder par Lui et transformer en profondeur. » Garder un cœur d’enfant pour pousser la porte du Royaume.