Chrétiens d’Orient : quel avenir ?
Alors que l’Égypte organisera en juin prochain ses premières élections démocratiques après la révolte populaire du Printemps arabe, les conséquences sur les communautés chrétiennes de cette vague de contestations qui s’est étendue à tout le bassin méditerranéen sont encore incertaines.
Quand on pense au Printemps arabe, on a d’abord en tête les scènes de liesse populaire sur la place Tahrir, au cœur du Caire, en Égypte. Vu sous le prisme des chrétiens d’Afrique du Nord, ce sont les affrontements sanglants entre forces de l’ordre et coptes, à l’automne dernier, dans cette même ville, qui reviennent à l’esprit. Ces deux exemples révèlent toute l’ambiguïté des révolutions qui, comme un domino, ont renversé l’un après l’autre des régimes en place depuis des années, voire des décennies, dans les pays arabes. Le paradoxe est que ces régimes, du fait de leur rigidité, garantissaient une certaine sécurité pour les chrétiens dans des pays à très forte majorité musulmane.
Un an après le début du Printemps arabe, la réalisation des objectifs et
des espérances des premiers temps semble encore lointaine. Et l’instabilité politique qui persiste encore dans ces pays n’est pas nécessairement synonyme d’un sort meilleur pour les chrétiens. En Égypte, par exemple, les rapports entre ces derniers et les autorités ont surtout été marqués par des violences d’une rare intensité. Le dernier épisode remonte à octobre 2011, lorsque des affrontements meurtriers ont opposé au Caire des manifestants coptes aux forces de l’ordre, provoquant un véritable bain de sang.
Menace islamiste
De plus, cette instabilité semble profiter en premier lieu aux islamistes. Au cours d’un congrès international organisé en septembre dernier à Munich par la communauté Sant’Egidio, le patriarche d’Alexandrie des coptes Antoine Naguib a fait part de son inquiétude devant l’apparition et le renforcement des mouvements islamistes, frères musulmans et salafistes en tête, « qui ont complètement changé la situation politique ». À l’approche des élections de juin 2012, a-t-il ajouté, « les discours religieux et les déclarations des salafistes et d’autres islamistes inquiètent beaucoup les chrétiens » et « l’absence de chrétiens dans le gouvernement et parmi les gouverneurs des régions alimente [leur] peur ». Selon le patriarche, la réalisation des objectifs est rendue difficile par l’inexpérience politique et le manque d’un leader.
Au Vatican, on suit de près les développements du Printemps arabe et ses conséquences pour les communautés chrétiennes nord-africaines. La guerre civile en Libye a particulièrement suscité des réactions. Se faisant l’écho des nombreux appels à la paix lancés par le pape, le président du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal Turkson, avait jugé l’intervention des Nations unies dans ce pays très discutable. Même son de cloche de la part du représentant du Vatican dans ce pays : « la guerre ne résout rien », affirmait au printemps dernier le vicaire apostolique de Tripoli, Mgr Martinelli. Son homologue en Égypte, le nonce apostolique au Caire, Mgr Fitzgerald, avait lui aussi espéré que l’on mette rapidement fin à ces violences.
En mai dernier, Benoît XVI avait reçu au Vatican le nouveau chef de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi, pour évoquer entre autres le sort des minorités chrétiennes au Moyen-Orient. Une rencontre hautement symbolique, quelques jours après que le pape eut souhaité publiquement que « la voie de la négociation et du dialogue prévale sur celle de la violence » en Libye et que cessent les effusions de sang en Syrie.
Une presence très ancienne
Derrière la question du Printemps arabe, transparaît en filigrane celle de la fuite des chrétiens depuis les pays à majorité musulmane. Libye, Égypte, Tunisie : en plus d’avoir été le théâtre de bouleversements politiques sans précédents dans le passé récent, ces pays ont la particularité d’abriter des communautés chrétiennes qui, si réduites soient-elles, comptent parmi les plus anciennes au monde. Comme l’a rappelé l’évêque de Tunis, Mgr Maroun Lahham, « cela fait quinze siècles que les Arabes chrétiens vivent avec les Arabes musulmans, en Terre Sainte et dans les pays du Moyen-Orient ». À ses yeux, « il serait naïf de penser que ces quinze siècles se soient passés sans heurts, sans des hauts et des bas ».
Lors d’un congrès organisé en décembre dernier à Rome sur le thème des chrétiens en Orient, le « ministre » du Vatican en charge du dialogue interreligieux, le cardinal Tauran, avait lui aussi souligné que ces derniers avaient « une histoire, une langue et une culture communes avec les musulmans au milieu desquels ils vivent depuis des siècles ».
Dans son discours, le cardinal français confiait : « Il est vrai que les chrétiens d’Orient ont beaucoup souffert depuis qu’ils existent. Souvent pour survivre, ils ont plus plié que résisté. Mais leur disparition serait une catastrophe. » C’est pourquoi il faut les aider à rester sur place, a estimé le responsable, car, « malgré certains phénomènes de fondamentalisme, la présence chrétienne dans la société arabe joue un rôle positif de facilitateur entre les composantes de cette société et de catalyseur pour la convivialité ».
Selon le père Jean-Jacques Pérennès, vicaire provincial des Dominicains pour le monde arabe et grand spécialiste du Maghreb, les chrétiens d’Orient se retrouvent aujourd’hui face à un enjeu de taille : ils ne doivent pas céder à la peur mais oser s’engager dans le changement politique en cours. C’est précisément ce que le patriarche Naguib a demandé lors du congrès de Munich, invitant les chrétiens « à joindre et soutenir les partis qui agissent pour l’établissement d’un État civil et démocratique ». Réponse, pour ce qui est de l’Égypte, en juin prochain.
Que dit le synode des évêques ?
La situation générale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a été au cœur de la dernière réunion du conseil du synode des évêques en charge de ces régions, au printemps 2011 au Vatican.
À cette occasion, évêques et patriarches ont rappelé : « La situation précaire due aux mouvements sociopolitiques concerne de près les Églises qui partagent les joies et les inquiétudes des citoyens, contraints en de nombreux cas à émigrer à cause de la violence, du manque de travail, de la restriction de la liberté religieuse, de la réduction de l’espace démocratique. »
« Du reste, ont ajouté les membres du conseil spécial, il y a un besoin urgent de dialogue – libre et fructueux – avec les autres religions et avec les représentants légitimes des pouvoirs civils. »