Chômage et surendettement
«Heureusement qu’il y a la cantine scolaire ; sinon les enfants ne mangeraient pas à leur faim tous les jours», confie Sonia, jeune mère de trois enfants. «Quand on sonne à la porte, je sursaute, chaque fois je m’attends à voir les huissiers. Je ne sais même plus où j’en suis financièrement parce que j’ai tellement peur que je n’ose plus ouvrir les lettres recommandées… Mais ce qui m’empêche vraiment de dormir, c’est la hantise d’être un jour à la rue et que l’on me retire les enfants… »
Au chômage de Jacques son mari, a succédé la perte de son propre emploi, quand le couple a déménagé pour répondre à une proposition de poste, apparemment fiable, pour le père de famille. Cette proposition a été sans suite car la nouvelle entreprise, à son tour, a connu des difficultés. Jacques est à nouveau parti dans une autre région à la recherche d’un travail et Sonia se retrouve seule avec les enfants, isolée dans une ville inconnue. Devant une situation financièrement et psychologiquement si difficile, la jeune femme n’arrive plus à réagir et reste prostrée chez elle ; salutairement soutenue par les appels téléphoniques de ses amies de toujours qui se relaient pour lui remonter le moral et l’aider à ne pas sombrer.
Des exemples de ces difficultés en cascade sont malheureusement très fréquents.
De l’endettement actif à l’endettement passif Les caractéristiques de l’endettement des ménages ont beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Au surendettement « actif », né de la difficulté à résister aux sollicitations des multiples crédits à la consommation, succède de plus en plus aujourd’hui le surendettement «passif». Les conséquences de la crise économique, avec son cortège d’emplois précaires et de licenciements, met de plus en plus de familles dans l’incapacité de faire face aux dépenses courantes : règlement des factures d’eau, de gaz, d’électricité, du loyer… Si en 1990 le chômage était à l’origine de 24 % des situations de surendettement, on le retrouve aujourd’hui dans 43 % des cas.
Quelques chiffres pour mieux comprendre
• On estime que le surendettement commence lorsque 60 % des revenus d’un ménage sont affectés au remboursement d’emprunts.
• En 1997, plus d’un ménage sur deux avait un crédit en cours et la moyenne de cet endettement couvre 45 % des ressources.
• Si 56 % des ménages endettés estiment pouvoir aujourd’hui faire face à leur dette, pour 36 % la situation s’est récemment dégradée.
• En situation d’équilibre financier, l’endettement ne devrait pas dépasser 25 % des ressources.
Dans le contexte économique actuel, le passage de l’endettement actif au surendettement passif est de plus en plus fréquent. Dans une situation d’endettement limite, «il suffit parfois d’un divorce, d’un décès, d’une longue maladie ou de la perte de son emploi, pour basculer dans l’insolvabilité» (1).
Les chrétiens et les familles surendettées Comment des chrétiens prennent-ils au sérieux la souffrance des familles surendettées ? Nous avons posé cette question au Secours Catholique.
Nous l’avons vu avec Sonia, l’angoisse du manque d’argent conduit au repli sur soi, à l’isolement : «C’est souvent en dernier recours que notre association est sollicitée», constate Chantal Guéneau, responsable du service Famille-Santé au siège national du Secours Catholique. Elle poursuit: «Les bénévoles qui accueillent les personnes en difficulté vont répondre à la demande d’aide. Mais ils le feront avec la pédagogie du Secours Catholique qui substitue l’avec au pour. Cette rencontre interpersonnelle va déboucher nécessairement sur un cheminement, une collaboration à long terme. Ensemble, on va au-delà du premier besoin, du besoin apparent, pour aller au fond des choses grâce à une analyse, un constat rigoureux et précis. Associé au diagnostic, à la recherche de solutions, les accueillis ne seront plus assistés, mais responsabilisés, artisans de leur promotion.»
Cette réponse indispensable resterait toutefois insuffisante si la personne en difficulté ne reprenait pas goût à la vie sociale : «Aussi, complète Chantal Guéneau, pour aider les foyers endettés, naissent, partout en France, des Groupements d’Alimentation Familiale (G.A.F.), offrant des produits alimentaires à prix réduits, ce qui permet, après un travail sur la gestion du budget, d’affecter les économies réalisées au paiement des dettes. Mais ces groupes permettent surtout la rencontre, l’échange, la réalisation de projets collectifs qui peuvent aller jusqu’à des vacances ensemble après constitution de cagnotte.»
Le rôle de la loi Comment la loi vient-elle en aide aux ménages surendettés ? Bien lentes sont les évolutions des mentalités, puisque ce n’est que deux siècles après la Déclaration des Droits de l’Homme que la situation des surendettés a été prise en compte par la législation française. Pour son dixième anniversaire, la loi sur le surendettement des particuliers de 1989 a bénéficié d’une importante réforme, volet fort attendu de la loi de lutte contre les exclusions votée en 1998.
De 1989... Déjà, la loi Neiertz mettait en place un dispositif permettant de trouver un accord amiable avec les créanciers pour ré-échelonner les remboursements des ménages endettés et aménager les taux d’intérêt. Cette loi a prouvé son utilité par le nombre des dossiers traités par les commissions de surendettement (pour les contacter, s’adresser à la succursale de la Banque de France la plus proche de son domicile) : 730 000 au total sur huit années, avec une issue satisfaisante dans 62 % des cas. La croissance très importante du nombre de dossiers à traiter (70 000 par an jusqu’en 1995, 118 000 en 1998), la précarisation des ménages concernés (30 % des cas en 97 relève de ménages à faible ressource contre 7 % en 1991). Tout ceci rend une réforme urgente. C’est chose faite aujourd’hui.
... à 1999 Depuis la publication du Décret d’Application de la loi de lutte contre les exclusions, en février 99, les surendettés eux-mêmes ont droit à la parole, puisqu’ils peuvent demander à être entendus par la Commission. S’ils le souhaitent, ils peuvent être accompagnés d’une personne qui les conseille, à condition qu’elle le fasse gratuitement. D’autre part la Commission peut, maintenant, mieux vérifier les créances, établir des plans de remboursement sur huit ans au lieu de cinq et maintenir un «reste-à-vivre» plus supportable que précédemment. Celui-ci ne pourra en aucun cas être inférieur au RMI.
Mais la nouveauté la plus décisive est la possibilité pour la Commission d’établir un moratoire de trois ans : lorsque la situation financière du ménage surendetté est trop catastrophique, les dettes sont gelées pendant trois ans. Au terme de ceux-ci, le cas est à nouveau examiné, et si aucune amélioration n’est constatée, les dettes pourront être effacées.
En contrepartie, l’inscription au F.I.C.P. (Fichier des Incidents de Remboursement des Crédits aux Particuliers) est immédiate. Le surendetté ne peut plus contracter de nouveaux crédits.
«Pourtant, reprend Chantal Guéneau, le chapitre surendettement de la loi contre les exclusions ne satisfait pas entièrement nos demandes: la prévention est oubliée, la responsabilisation des dispensateurs de crédit n’est pas envisagée, et le Fisc reste le créancier le plus puissant et le plus intraitable. Il reste d’autre part à observer comment les dispositions favorables de la loi seront appliquées par les Commissions de surendettement. Dans les mois et années à venir, avec les familles en difficulté, nous resterons vigilants, car, ensemble, associés, nous voulons construire une société juste et fraternelle .»
Comment ne chercherions-nous pas, là où nous sommes, à apporter notre pierre à un tel chantier?