Bethléem, côté Franciscains
Le complexe architectural incluant le sanctuaire de la Nativité est un peu à l’image de la toute petite porte (dite d’humilité) donnant accès à la basilique : il est déroutant et dissimule son trésor. L’église aux superbes rangées de colonnes, construite par Constantin et agrandie par Justinien au début du VIe siècle – un miracle qu’elle soit parvenue jusqu’à nous –, a en effet été englobée dans toute une série de bâtiments et d’aménagements défensifs qui la masque de l’extérieur. En particulier, au cours du Moyen Âge, trois couvents sont venus la ceinturer : au sud-ouest, les Arméniens, à l’est les Grecs, et au nord, les Latins.
Après la conquête de Jérusalem par les croisés (1099), l’Église catholique latine s’implante et s’organise en Terre sainte : ainsi, Bethléem, siège d’une paroisse dès 1101, puis d’un évêché en 1110, est desservie par des chanoines réguliers de saint Augustin qui construisent un couvent au nord de l’antique église de la Nativité. C’est dans ce couvent que s’installent les Franciscains en 1347. Et ils y sont encore aujourd’hui.
Le couvent et l’église Sainte-Catherine
Au cours des siècles, les Frères Mineurs vont progressivement transformer et agrandir le couvent des Augustins, ils le reconstruisent presque entièrement au XIXe siècle, mais, aujourd’hui encore, le visiteur peut retrouver des vestiges de l’époque des Croisés, notamment dans certaines parties du cloître. Ces métamorphoses successives s’expliquent à la fois par l’accroissement du nombre des frères, des fidèles latins et des pèlerins, mais aussi par toutes les vicissitudes que le couvent et la communauté ont pu connaître : incendies, tremblement de terre, incursions des Arabes et des Turcs, ou encore querelles de voisinage avec les Grecs. En 1679, les frères sont en train de chanter les matines, quand le feu se déclare dans le cellier. En 1700, ils doivent fermer leur cloître pour empêcher que l’on y commette des dégradations. En 1834, un séisme cause d’importants dégâts.
Le couvent ancien (c’est-à-dire celui d’avant la reconstruction du XIXe siècle) nous est assez bien connu grâce aux plans très précis figurant dans les nombreux guides de Terre sainte que les Frères Mineurs publient en diverses langues. Celui que nous avons sous les yeux date de 1664 et se trouve inclus dans un ouvrage du frère Antoine de Castillo, un religieux espagnol qui fut un temps gardien du couvent de Bethléem – c’est dire s’il connaît les lieux. Au-dessous de la basilique (car le nord se trouve vers le bas), on distingue très nettement le vaste cloître carré accolé à la façade de l’église Sainte-Catherine. Au fond de cette dernière, le maître-autel (numéroté 6), puis, de gauche à droite, le chœur des frères (7), une balustrade sur laquelle sont accolés deux petits autels, et enfin la nef des fidèles, avec la sacristie et l’escalier descendant aux grottes (8), celle de Saint-Jérôme et celle de la Nativité. À part cette dernière particularité, on se trouve en présence d’une petite église de Cordeliers comme il en existe une multitude en Occident. Si maintenant, on jette un œil à un plan du milieu du XVIIIe siècle, rien n’a vraiment changé, à un détail près : le maître-autel a été rapproché des fidèles, et le chœur des religieux rejeté au fond de l’église. C’est exactement ce que l’on a fait en Occident à la même époque.
Ce couvent, construit pour vingt religieux et considéré par les chroniqueurs comme un des plus beaux de la Custodie de Terre sainte, paraît néanmoins trop exigu au XIXe siècle. L’église Sainte-Catherine est entièrement reconstruite (elle comporte désormais une nef et deux bas-côtés) et elle est allongée, ce qui a pour conséquence la destruction de l’aile orientale du cloître. L’ensemble est inauguré en août 1882. Depuis cette date, les frères continuent à entretenir soigneusement leur couvent. Le dernier aménagement important a consisté dans la pose en 2022 de panneaux solaires sur le toit de Sainte-Catherine, ce qui, d’après les Franciscains, leur permet d’être en phase avec l’encyclique Laudato Si’ et… de limiter leurs dépenses d’électricité.
Le couvent aujourd’hui
Sous la conduite de leur actuel gardien, le frère Luis Enrique Segovia, les franciscains de Bethléem (ils sont une quinzaine) entendent rester fidèles à leur mission ancestrale. Certains sont chargés de l’accueil des pèlerins et de la liturgie au sein de la basilique. L’un des trois frères sacristains doit notamment veiller au respect du statu quo – c’est-à-dire le code de bonne conduite réglant les rapports entre les communautés chrétiennes au sein des sanctuaires de Terre sainte. D’autres exercent leur ministère auprès de la paroisse latine, dirigent l’école de la Custodie (les élèves y sont en majorité musulmans) ou gèrent la Maison franciscaine de l’Enfant, fondée en 2007 pour accueillir des jeunes issus des quartiers défavorisés. Notons encore que les frères de Bethléem ont en charge le petit sanctuaire du « champ des bergers », qu’ils assistent spirituellement des communautés féminines et qu’ils accueillent les « aspirants » à la vie franciscaine – c’est-à-dire des jeunes qui effectuent une année de discernement vocationnel avant d’entrer dans la Custodie.
Aujourd’hui comme hier, le couvent n’est pas sans lien avec l’économie locale. Une quinzaine d’employés palestiniens travaillent directement au service du sanctuaire tandis que les frères continuent de soutenir les artisans nacriers qui, depuis le XVIe siècle, fabriquent les « souvenirs » rapportés par les pèlerins. Certains de ces objets en nacre sont de véritables chefs-d’œuvre (notamment des maquettes des sanctuaires). Ils sont aujourd’hui conservés de par le monde dans les musées ou les commissariats de Terre sainte, mais il en existe une multitude d’autres, beaucoup plus modestes, mais ô combien touchants. En 1994, Michel Jarnoux, un frère franco-égyptien en charge du « champ des bergers », a fait cadeau à des pèlerins du diocèse de Soissons d’une icône de Marie décorée de nacre et réalisée par un artisan palestinien chrétien. Cette icône, aujourd’hui dans l’église de Jaulgonne, près de Château-Thierry, invite à la prière de façon persistante. Et pour paraphraser le psalmiste : « Si je t’oublie Bethléem, que ma main droite m’oublie, que ma langue s’attache à mon palais ».