Benoît XVI : douceur et fermeté
Tout a été écrit depuis l’élection de Benoît XVI, sur le parcours de ce bavarois devenu archevêque de Munich avant de prendre, en 1980, à la demande pressante de Jean-Paul II, la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Caricaturé comme « grand inquisiteur » - surtout dans les médias car le public le connaît peu - il révolutionne pourtant, à sa manière, la vénérable institution. Lui qui a activement participé, comme théologien, au Concile de Vatican II, soutient “l’ouverture” exprimée par les pères conciliaires. Il débat avec les autres théologiens, donne des interviews, explique ses décisions. Du jamais vu au Saint-Office !
C’est au milieu des années 1980, avec la question de la théologie de la libération, que l’image du “Panzercardinal” se répand. Pourtant le cardinal Ratzinger n’a pas, contrairement à ce qu’on lit souvent, fait preuve d’autoritarisme. Il a discuté longtemps avec le P. Boff, ce théologien franciscain de l’Amérique latine, le créditant de sa bonne foi, avant de lui demander de prendre un an de réflexion et de s’abstenir de publier pendant ce temps…
Mais en cette même année 1985, un deuxième épisode vient, en France, renforcer les préjugés contre le cardinal bavarois. A l’origine de l’affaire, un mot : “restauration”, employé dans un livre d’entretiens signé avec le journaliste Vittorio Messori. Les Français comprennent : « retour à l’ordre ante-concilliaire ». Joseph Ratzinger, lui, veut revenir à l’esprit des textes du Concile, et poursuivre leur approfondissement. Incompréhension, désordre : le voilà durablement catalogué. Et lorsque, le 24 avril dernier, il reçoit le Pallium, qui symbolise l’autorité pastorale du souverain pontife, la France médiatique s’effraie de la “prise de pouvoir” d’un “conservateur”. D’un genre nouveau, cette longue bande de laine blanche, marquée de croix rouges, est pourtant un clin d’œil aux Français : le modèle s’inspire de celui retrouvé dans la tombe de saint Martin de Tours. Cela ne suffira pas à créer la connivence.
Le cardinal Ratzinger n’ignore rien de cette image figée. Il explique même les causes du rejet dans son homélie de la messe d’ouverture du conclave : « Posséder une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner “à tout vent de la doctrine”, apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle. » Et il ajoute : « Une foi “adulte” ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés ; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l’amitié avec le Christ. »
Cette clarté de pensée, cette solidité dans la foi, auront sûrement pesé sur le choix des cardinaux électeurs. Pour le cardinal indien Telesphore Toppo, le nouveau Pape est un « géant intellectuel » et en même temps une « personne très humble et simple ». Son humilité, soulignée par tous, Benoît XVI va en faire une “marque de fabrique” dès les premiers jours du pontificat. Il se présente d’abord comme « humble et simple ouvrier dans la vigne du Seigneur », et il appelle les catholiques à l’aide : « Priez pour moi, pour que j’apprenne toujours plus à aimer le Seigneur. Priez pour moi, pour que j’apprenne à aimer toujours plus son troupeau ». Au fil des jours, Benoît XVI apprend à surmonter sa timidité pour entrer en relation avec les foules. Son sourire compense le geste un peu hésitant. Lors de sa deuxième audience générale, il va saluer une à une les personnes handicapées et leurs familles, parlant avec chacune.
Simple avec le public, il l’est aussi dans le gouvernement de l’Eglise : dans sa première homélie, il demande la collaboration active des autres cardinaux, et plaide pour la collégialité. Loin de chercher à monopoliser l’attention, il annonce un peu plus tard qu’il ne célébrera pas les béatifications, les confiant au préfet de la congrégation pour la cause des Saints.
Les lignes de force du nouveau pontificat ont été claires dès le début : la paix et l’œcuménisme. Il est intéressant de relire, a posteriori, le sondage publié avant l’élection par nos confrères du Pèlerin, qui révélait que chez les catholiques pratiquants réguliers, « l’œcuménisme arrive en tête de leurs préoccupations (49%), suivi de près par le soutien aux initiatives de paix (48%). »
Pour ce qui est de la paix, on sait que le Pape a choisi son nom en référence à son prédécesseur Benoît XV, infatigable promoteur de la paix pendant le premier conflit mondial, et en référence à saint Benoît de Nursie, fondateur du monachisme européen (la devise bénédictine est Pax).
Pour l’œcuménisme, Benoît XVI a multiplié les signes. Il n’est que de relire l’homélie prononcée dans la chapelle Sixtine, au lendemain de l’élection. Le Pape prend « comme premier engagement celui de travailler sans épargner ses forces, à la reconstruction de l’unité pleine et visible de tous les disciples du Christ ». C’est son « devoir pressant, explique-t-il, conscient que pour cela les manifestions de bons sentiments ne suffisent pas » et que « l’on a besoin de gestes concrets ». Le 25 avril, dès le lendemain de l’inauguration du pontificat, il tient à rencontrer les représentants des autres confessions chrétiennes. Le 2 mai, il salue, en grec, les églises orthodoxes qui célèbrent Pâques ; une semaine plus tard, et c’est une première, il adresse un message cordial au synode national de l’Eglise Réformée de France (ERF). Citer tous les exemples serait trop long, la démarche est claire.
A ces deux thèmes majeurs, s’ajoutent évidemment des orientations profondes qui s’expriment au fil des jours et des occasions de rencontre ou de catéchèse : l’abandon confiant à la volonté divine, la contemplation du mystère eucharistique, « source et sommet de la vie chrétienne », la prière du Rosaire, pour « contempler le Christ avec les yeux de Marie », l’encouragement à l’ardeur missionnaire…
En 1985, dans le chapitre intitulé Jean-Paul II et Joseph Ratzinger de ses Entretiens sur Vatican II, le cardinal de Lubac écrivait de lui : « Il ne craint d’aborder au grand jour ni les sujets fondamentaux, ni les problèmes actuels, toujours avec calme, simplicité, mesure, grand respect des personnes et sourire. Son premier souci n’est pourtant pas de plaire : à son rôle, quelquefois ingrat, il ne se dérobe pas. » Ce paragraphe du livre, comme les autres du reste, résonne aujourd’hui d’une particulière pertinence. Et pour comprendre plus intimement encore le projet du pape Benoît XVI, il suffit de l’écouter : « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Eglise, de me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur. »