Beauraing, centre marial
Beauraing... Une petite ville de la province de Namur, proche de la frontière française, à la porte de l’Ardenne luxembourgeoise. Sa région était habitée par l’homme dès l’époque néolithique. De nombreux vestiges romains et francs y furent retrouvés. Au Moyen Age, elle était défendue par des châteaux et des donjons, détruits au cours des guerres et dont il ne reste que des souvenirs. Au XIXe siècle, le duc d’Ossuna releva de ses ruines la château de Beauraing. Par malheur, cet édifice fut incendié le 3 décembre 1889. Seules subsistent ses tours aux murs imposants.
A 180 mètres d’altitude, Beauraing est située dans la dépression de la Famenne. Ses villages du Sud, comme Felenne, Winenne..., premiers contreforts de l’Ardenne, offrent une nature sauvage, un climat rigoureux, un relief découpé par des vallées encaissées.
Cette région de Beauraing était, au XIXe siècle, riche en industries: verrerie de Vonêche, carrières, fours à chaux, tanneries étaient prospères. Seule, à l’heure actuelle, l’industrie du bois connaît un essor. La proximité de la France et une bonne infrastructure routière font de Beauraing un centre important au point de vue commercial et scolaire pour les quelque huit mille habitants de Beauraing et des quinze villages qui l’entourent.
Nous sommes à mi-chemin entre Sedan et Namur. Et nous sommes en un lieu de pèlerinage qui attire les foules.
Lumineuse dans la nuit d’hiver
Tout a commencé ici le 29 novembre 1932, premier jour de la neuvaine préparatoire à la fête de l’Immaculée Conception. Laissons à Yves-M. Charue (1) le soin de nous rapporter l’événement de ce jour d’hiver. «La petite Gilberte Voisin, élève des Sœurs de la Doctrine chrétienne, restait à l’étude du soir jusqu’à 6 h 30. Sa grande sœur, Fernande, et son frère, Albert, allaient la chercher, en prenant au passage les enfants Degeimbre, Andrée et Gilberte. Ce jour-là, ils s’étaient bien amusés en chemin, comme des enfants, et voilà qu’ils longent la grille, qu’ils tournent à droite pour s’engager dans l’allée qui traverse le jardin des Sœurs, ils passent en se signant à la hauteur de la grotte de Lourdes surplombée par le talus du chemin de fer... Et voilà le petit Albert, le premier arrivé sur le seuil, un peu essoufflé, qui tire la sonnette de la porte du pensionnat. Puis, en se dandinant comme un enfant qui a la bougeotte, voilà qu’il se retourne: Oh!... Là... toute lumineuse dans la nuit d’hiver... Dès la première seconde, une évidence bouleversante traverse son esprit et touche son cœur: c’est elle! C’est la Sainte Vierge! Alors dans un souffle il crie aux autres: Regardez... La Vierge qui se promène sur le pont... Et il pointe le doigt dans la direction.»
Cette attitude provoque, bien entendu, la moquerie de la grande sœur qui se retourne, et les autres aussi: «Ooh!». Elle marche «soutenue par un léger nuage, lentement, les mains jointes, comme en procession, dans l’espace au-dessus du pont de chemin de fer.» Gilberte arrive de la salle d’étude. «Sans qu’on lui ait rien dit, elle la voit à son tour, qui marche dans un sens puis dans l’autre, mais sans jamais leur tourner le dos...»
Les enfants – quatre filles, un garçon – se sentent attirés. Mais ils sont pris subitement d’une grande frayeur. Ils s’enfuient sans se retourner mais en sachant bien qu’elle les regarde.
Ainsi se déroula le premier soir des apparitions qui se répéteront pendant plus d’un mois.
Le lendemain, 30 novembre, presque le même scénario. «Ils ont moins peur, relate Yves-M. Charue, et quand ils se retournent, à hauteur de l’actuel magasin Pro Maria, ils la voient au-dessus du pont, tournée vers eux, les regardant courir.» Et il ajoute: «C’est le troisième jour qu’elle s’est fixée sous l’aubépine. Ce jour-là, les enfants sont venus avec les parents et quelques autres adultes bien décidés à débusquer les mauvais plaisants qui font peur aux enfants... Mais, en trois brèves apparitions à trois endroits différents, Marie se rapproche, laisse voir son visage et son sourire. Un sourire qui signifie: N’ayez pas peur!... Finalement, alors qu’enfants et adultes sont revenus au jardin des Sœurs, elle se montre tout près, dans une aubépine au bord de la route. Précipités à genoux, les enfants se mettent à prier à haute voix.»
C’est en cet endroit que les cinq enfants viendront comme à un rendez-vous, tous les soirs, entourés d’une foule de plus en plus nombreuse et fervente... Ils viendront tous les soirs jusqu’à la trentre-troisième et dernière apparition, le 3 janvier 1933. Ce dernier jour, l’affluence est énorme: 25 000, 30 000 personnes, peut-être même davantage, entourent les enfants. Au long de plusieurs kilomètres, voitures et autocars sont alignés sur deux rangs...
Que nous demandez-vous?
La nouvelle de ces apparitions s’était répandue avec les moyens de l’époque. Le 8 décembre au soir, alors que les faits en étaient déjà à leur dixième jour, un journal catholique publiait, le premier, un article intitulé: «Des apparitions de la Sainte Vierge à Beauraing?». Ce soir-là, une foule se pressait de long des grilles du jardin du pensionnat Notre-Dame du Sacré-Cœur tenu par les religieuses. La nouvelle avait circulé de bouche à oreille. Déjà les témoins s’interrogeaient sur la réalité des apparitions, sur leur déroulement et essayaient de comprendre les intentions de la Vierge.
Ceux qui étudièrent alors avec perspicacité le phénomène y discernèrent trois phases. La première est une rencontre. «Etes-vous la Vierge Immaculée?» Elle fait «oui» d’un signe de tête. «Que nous demandez-vous?» Réponse: «D’être bien sages». «Quel jour faudra-t-il revenir?» «Le jour de l’Immaculée-Conception». Les enfants avaient posé cette question le 5 décembre. Le lendemain, la Vierge apparaît avec un chapelet. Le 8 décembre, jour de la fête, la foule est déjà nombreuse. «Aussitôt sur place, les enfants sont projetés à genoux et prient d’une voix extraordinaire. Marie est plus belle, plus brillante que jamais. Ils sont plongés dans une extase profonde, insensibles à ce qui se passe autour d’eux. Des médecins font des expériences, brûlent, piquent, pincent violemment... Un chapelet est récité. Puis c’est la retombée sur terre, marquée par un profond désarroi, une impression de froid, de ténèbres au moment du départ de l’Immaculée.»
Quatre jours sans apparitions. La Vierge est de retour le 13 décembre. Dans cette deuxième phase, son message rappelle celui de Lourdes. «Que voulez-vous que nous fassions pour vous?» demandent les enfants. «Une chapelle». Le 21 décembre, elle donne son nom: «Je suis la Vierge Immaculée». Et le mardi 23, quand Fernande, une des voyantes, lui pose la question: «Pourquoi venez-vous ici?», elle répond: «Pour qu’on vienne ici en pèlerinage!» Au début de la nuit de Noël, elle apparaît, radieuse, et ouvre ses bras lentement avant de partir.
Trois jours d’absence... Puis à partir du 27 décembre la Vierge apparaît de nouveau aux enfants. Cette troisième phase est placée «sous le signe du cœur de Marie rayonnant d’amour et de lumière». Elle ouvre ses bras et leur dit: «Priez. Priez beaucoup» en insistant sur «beaucoup». Le 1er janvier de cette année 1933 qui verra la montée du nazisme, elle insiste encore: «Priez toujours». Et le lendemain, lundi 2, elle annonce: «Demain, je dirai quelque chose à chacun de vous en particulier». Les enfants sont dans la joie. Pressentent-ils que le lendemain sera le dernier jour? La foule, immense, observe. Les enfants à genoux se taisent. Marie leur parle. «Je convertirai les pécheurs», dit-elle à Gilberte Voisin, et à Andrée Degeimbre: «Je suis la mère de Dieu, la Reine des Cieux. Priez toujours». Et à tous: «Adieu». Pour la dernière fois, ils ont vu briller son coeur.
Plus tard, chacun des cinq enfants fondera une famille.
Au Jardin de l’Aubépine
Le fait des Apparitions de Beauraing est historiquement établi. Le deuxième des «Dossiers de Beauraing» publiés pour l’année du Cinquantenaire rassemble les documents qui justifient la reconnaissance officielle par l’autorité diocésaine – en l’occurrence, Mgr Charue, évêque de Namur – du culte rendu à Notre-Dame de Beauraing. Cette reconnaissance eut lieu le 2 février 1943. Six ans plus tard, le 11 juillet 1949, dans ce Jardin de l’Aubépine où nous sommes, étaient lus, en présence de Mgr Charue, le Décret par lequel il reconnaissait comme miraculeuses deux guérisons obtenues en 1933 et la Lettre où il affirmait sans réserve «le caractère réel et surnaturel des faits de Beauraing».
Le 18 mai 1985, Jean-Paul II est venu s’agenouiller devant la Vierge au «Cœur d’Or». Il a rencontré Gilberte et Albert Voisin et Gilberte Degeimbre... Ce jour-là, plus de 40 000 personnes ont participé à l’Eucharistie.
La Vierge est apparue «pour qu’on vienne ici en pèlerinage». Hommes et femmes de tous âges, de toutes conditions sont nombreux, tout au long de l’année, à venir s’agenouiller, comme le fit le Pape, aux pieds de la Vierge de Beauraing, au «Jardin de l’Aubépine».
Ce Jardin était, jusqu’en 1932, le modeste parc du pensionnat rural tenu par les Sœurs. Depuis, l’aspect des lieux a changé. Pelouses, buissons ont progressivement cédé la place à un autel, un podium, un abri, des bancs... Le pont du chemin de fer, lui, est toujours là. Notre Dame nous accueille sous l’Aubépine, celle-là même où elle apparut. Sa statue, en marbre de Carrare, est la réplique fidèle de l’œuvre de l’artiste beaurinois Aurélien Pierroux. Elle a été bénite le 3 mai 1951 par Mgr Charue, en présence de Mgr Théas, évêque de Tarbes et Lourdes.
Près de l’Aubépine, une pierre encastrée dans le mur porte l’inscription: «Ici, sous l’Aubépine, au cours de ses dernières apparitions, la Vierge Marie a manifesté son Cœur Immaculé.» De l’autre côté du jardin, au dessus des ex-voto gravés dans la pierre bleue, nous pouvons lire, inscrites en lettres d’or, les principales paroles de la Vierge aux enfants de Beauraing. Dans la rue, entre le mur et la grille, ont été conservés les vieux pavés sur lesquels les enfants s’agenouillaient. A la droite de l’Aubépine, un grand escalier nous conduit à l’autel de la Visitation, monolithe en pierre de France, placé à l’endroit où se trouvait la grotte de Notre-Dame de Lourdes. Au-dessus de l’autel et tout le long du jardin, un auvent en béton protège célébrants et pèlerins tant de la pluie que des ardeurs du soleil. Derrière l’auvent, l’important bâtiment de briques est l’ancien pensionnat des Sœurs, transformé en Hospitalité depuis 1955 et qui, chaque année, accueille de nombreux malades, handicapés et seniors, notamment à l’occasion de tridum, sorte de «retraite ouverte» de trois jours en communauté fraternelle. Hospitalières et brancardiers dispensent aux personnes qui le souhaitent soins et aide. L’hébergement et la restauration sont assurés par les Religieuses de la Doctrine Chrétienne.
Sous le podium, nous accédons par quelques marches à la Crypte Saint-Jean, dont la hauteur dépasse à peine 2 mètres, qui peut accueillir deux cents personnes et où l’on peut admirer notamment, à gauche du tabernacle fixé au mur, une belle statue de Notre Dame de Beauraing, œuvre du sculpteur Willy Sapyn, et le magnifique chemin de croix de Max van der Linden, composé de quatorze céramiques, où abondent les thèmes bibliques et des références au monde d’aujourd’hui.
La réponse au vœu
De l’avis de tous, habitués des sanctuaires ou pèlerins d’un jour, le parvis ménage une heureuse transition entre le va-et-vient de la voie publique et le recueillement qui convient à la Chapelle votive, qui répond au «vœu» formulé par Marie.
Construite de 1947 à 1954 en pierre bleue de la région, d’après les plans de l’architecte Michel Claes, de Beauraing, la chapelle se présente comme une forteresse inébranlable. Elle veut évoquer le triomphe de Notre Dame sur les forces du mal. Sur le côté droit du porche, un énorme bloc de 2 000 kilos: c’est la première pierre posée le 22 août 1947.
Pénétrons dans le sanctuaire. Il est composé de trois parties. La chapelle du Saint-Sacrement d’abord, avec ses trois arcades, reposant sur douze colonnes galbées, symbole des douze apôtres, et son autel, simple, robuste, dédié au Cœur Immaculé de Marie. A remarquer, derrière l’autel, l’ostensoir massif en bronze argenté, créé par l’artiste Marie-Paule Haar, à l’occasion du Cinquantenaire des Apparitions, en 1982, à partir d’objets en or et en argent offerts par les pèlerins. Il évoque la forme d’un arbuste, celui de l’Aubépine où la Vierge s’est manifestée, le Buisson ardent où Dieu parlait à Moïse, ou encore les mains de la Vierge qui montre et porte le Christ eucharistique aux fidèles.
Le tabernacle en cuivre argenté est récent. Il date de 1991. Il est l’œuvre de Mme Lefèvre-Willame. Il évoque à la fois le blé qui ouvre la terre et devient pain et la résurrection du Christ qui ouvre l’espace et le temps pour rassembler le peuple de Dieu dans l’Eucharistie.
Regardons dans l’abside, à gauche, le vitrail marial dont l’ogive compte vingt-cinq triangles, rappelant ainsi l’Annonciation (25 mars) et la Nativité (25 décembre). Le mur de droite est percé de cinq vitraux qui évoquent les cinq enfants qui ont vu la Vierge.
Autre partie de la chapelle votive: le couloir de la réconciliation. Un prêtre s’y trouve toujours à la disposition des pénitents. Dans deux vitrines sont exposés des souvenirs des Apparitions et de la visite de Jean-Paul II. Puis, sortant de la chapelle par la petite porte, nous montons quelques marches de l’Esplanade et nous admirons l’arcade sous laquelle se trouve l’autel dédié à la Reine des Cieux et qui est comme le chœur d’une basilique en plein air. Dans la pierre, l’architecte a inscrit l’histoire de Beauraing, grâce au symbolisme des nombres. La grande arcade compte trente-trois pierres, symbolisant les trente-trois apparitions, mais aussi l’âge du Christ. L’arc qui couronne la chaire compte sept pierres qui évoquent, à l’intention du prédicateur, les sept dons de l’Esprit. Les cintres qui la supportent sont séparés par cinq gorges profondes. Et, nous attardant, nous constaterions que le chiffre cinq revient constamment, qui nous rappelle les cinq enfants auxquels la Vierge apparut.
Les bâtiments en béton qui complètent les sanctuaires, œuvre de l’architecte namurois Roger Bastin, ont été réalisés de 1961 à 1968. Ils se caractérisent par la pureté des lignes et la simplicité du matériau. Derrière la chapelle s’élèvent les gradins de l’esplanade, encadrés de bacs de verdure et de fleurs, où chantent et sautillent les cascatelles d’eau. Les plans inclinés donnent accès aux deux plus récents sanctuaires: l’église du Rosaire, qui peut accueillir plus de sept cents personnes, l’église supérieure qui peut en recevoir plus de cinq mille.
La façade de l’église du Rosaire est entièrement vitrée Ainsi, elle n’est pas coupée des sanctuaires extérieurs. Sur le mur occidental, trois grandes céramiques, à regarder dans le détail, représentent les quinze mystères du Rosaire. Au centre de l’ensemble: le Christ en croix, dont l’attitude fait pressentir la Résurrection.
Dans l’église supérieure, inaugurée solennellement le 6 octobre 1968 par le cardinal Suenens, primat de Belgique, nous nous attarderons notamment, à droite de l’autel, devant la silhouette de la Vierge à l’Enfant, tracée par le peintre parisien Maurice Rocher et réalisée en céramique par l’artiste hollandaise Alice van der Gaast. Beau et touchant!
Beauraing aujourd’hui, c’est encore l’Hospitalité dont nous avons parlé, mais aussi la Maison de Béthanie, ouverte en 1974, dont la Communauté de Religieuses assure l’Adoration quotidienne dans les Sanctuaires et accueille personnes ou petits groupes désirant se recueillir auprès de Notre Dame. C’est aussi le Musée Marial, avec photos, objets, vêtements des cinq enfants et les statues de Notre Dame de Beauraing dans leur histoire, leur évolution... C’est le magasin Pro Maria, riche en livres et en documentation. Le cimetière de Beauraing permet au visiteur de retrouver les tombes des témoins des apparitions ainsi que des personnes qui se sont particulièrement dévouées pour la cause de Notre Dame. A quelque 150 mètres des sanctuaires, le Parc Marial accueille, sous chapiteaux et tentes, d’importants groupes, tels ceux du Renouveau charismatique. Dans l’ancien domaine des ducs d’Ossuna, acquis en 1946, le Castel Sainte-Marie est, depuis cette date, maison de retraite. Dans les dépendances se sont ouvertes, en 1980, la maison de l’Epi, auberge de prière et d’échange pour les jeunes et, en 1990, Jéricho, maison d’accueil pour les retraitants, jeunes ou adultes.
Dans le parc, sinue un chemin de croix. Sous les frondaisons, une statue de saint Louis-Marie Grignon de Montfort en marque l’entrée. Un carillon de vingt-neuf cloches, à mécanique automatique, égrène, de demi-heure en demi-heure, les notes des chants de la Vierge chers aux pèlerins.
Tout, dans le domaine marial, contribue à répondre au souhait de Marie: «Priez, priez beaucoup, priez toujours!»
Ludovic Roger
(1) Beauraing, le cœur de Marie, par Yves-M. Charque, Ed. Pro Maria, 26 rue de l’Eglise - B. 5570 Beauraing.