Auprès des enfants soldats sans ressources
C’est en septembre 2009 qu’Abel Durand Bienze toqua à la porte de la caritas saint-antoine, plein d’espérance et de projets. À l’époque, il avait trente ans environ, il parlait italien grâce à ses études de théologie à Rome et une mission presque impossible reposait déjà sur ses épaules. Son projet fut celui proposé pour la fête de saint Antoine en 2010, trois ans plus tard, nous sommes en mesure de faire un premier compte-rendu.
Frère Abel, qui avait été nommé économe du diocèse de Nkay, dans son pays, au Congo Brazzavile, était en charge de trouver les ressources pour développer et reconstruire une zone ravagée par la guerre.
Le diocèse de Nkay est situé au sud du pays et également au sud de Dolisie, la troisième ville du Congo Brazzaville, proche de la frontière de l’Angola. Cette position géographique s’explique aussi par la vastité du territoire et par l’extrême pauvreté de son peuple. Ce diocèse est très étendu (59 140 km2) mais pas très densément peuplé (542 166 habitants) ; il est divisé en 576 villages et 25 paroisses, sans presque aucune route asphaltée et moyens de communication.
La situation sociale est gravissime : le territoire de Nkayi a été le plus exposé aux guerres fratricides qui ont explosé dans le pays au cours des vingt dernières années, et malgré les accords de paix signés, les épisodes de dévastations et de violences étaient récurrents. Nombreux sont les ex-enfants soldats qui errent sans but, portant sur leurs épaules et dans leur cœur le fardeau des atrocités vécues. Le système scolaire aussi était gravement compromis et en mal d’assistance sanitaire après la destruction des treize dispensaires du diocèse. Le Congo est pourtant un pays riche de matières premières qui attire les investisseurs étrangers. Un succès qui ne semblait pas toucher les populations, puisqu’un congolais sur deux vivait sous le seuil de pauvreté. Face à tant de dévastation, le père Abel était comme un petit David contre un immense Goliath. C’était comme imaginer une ville sur un ground zero. À la Caritas Saint-Antoine, la surprise se mêlait à la perplexité : il était difficile de dire, au début, s’il s’agissait d’inconscience ou de prophétie évangélique. C’est le père Valentino Maragno, directeur de la Caritas Saint-Antoine, qui se rendit le premier à Dolisie pour le savoir. Et puis ce fut au tour du père Danilo Salezze, alors directeur général du Messager de Saint Antoine et de son vice-directeur, le père Paolo Floretta, pour déterminer ensemble ce qui était faisable, et définir les priorités.
En trois années en tant qu’économe, le père Abel s’était constitué son groupe de travail. Il avait repéré Serge parmi les nombreux jeunes du diocèse, un jeune qui avait fait des études de sociologie, brusquement interrompues par la guerre et l’enrôlement forcé dans l’armée. Il était brutalement passé des livres au fusil dans l’enfer d’une guerre qui n’était pas la sienne. Abel lui a confié une mission : recueillir le plus de données possible sur l’état du diocèse et des gens, de les étudier pour planifier l’avenir. Les autres acteurs qui épaulaient Abel étaient deux médecins retraités, un chirurgien et un pédiatre, ainsi qu’un infirmier professionnel. Un bon début pour commencer à reconstruire une assistance sanitaire, même rudimentaire.
Le père Abel, guidé et supervisé par la Caritas Saint-Antoine, établit une liste des interventions les plus urgentes. « Les données de Serge, explique le père Maragno, nous indiquait que dans cette zone la mortalité infantile était extrêmement élevée. 126 enfants sur mille mouraient durant leur première année et l’espérance de vie à la naissance était d’à peine 45 ans. Le sida était très développé dans les environs, mais la malaria et les maladies transmises par l’eau infectée restaient les plus meurtrières. » Cette observation conduit à la solution la plus simple, mais aussi la plus efficace : « Assainir les puits d’eau et en construire de nouveaux dans les villages qui n’en disposaient pas. » Une surveillance sanitaire minimum était ensuite indispensable : « Nous avons pensé à une unité mobile, qui pourrait visiter les villages à intervalle régulier, administrer quelques traitements, et former
les gens aux règles élémentaires d’hygiène sanitaire. »
L’autre grave urgence était les enfants soldats sans aucune perspective de formation et de travail : « Pour cet aspect, poursuit le père Maragno, nous nous sommes entendus sur deux points avec le père Abel. D’une part nous devions l’aider à construire une école professionnelle, et d’autre part nous devions lui fournir des moyens de travail plus adaptés à une petite co-
opérative agricole de jeunes. » Six mois et quelques voyages plus tard, le projet avait pris forme : l’assainissement ou construction de 80 puits, l’achat de l’unité mobile pour le projet sanitaire, la construction de l’école, un tracteur avec de nombreux accessoires pour les jeunes de la coopérative, et une bourse de travail pour Serge pour un coût total prévu d’environ 300 000 euros.
« C’était un projet complexe, difficile compte-tenu des conditions dans lesquelles nous devions travailler, rappelle le père Maragno, mais cela pouvait être le premier noyau d’un nouvel avenir. C’est pour cette raison que nous l’avons présenté aux lecteurs du Messager le 13 juin 2010, fête de saint Antoine. » Un double pari.
Trois ans après le début de cette aventure, le moment d’un compte-rendu est venu : « Nous nous y attendions, cela a été difficile, commente le père Maragno. Nous avons suivi le projet un pas après l’autre, en subissant des revers de tout type : la reprise de la guérilla, l’explosion des prix, des taxes et des gabelles imprévues, la bureaucratie, la difficulté à trouver les matériaux et le savoir-faire, ce ne sont que quelques exemples. Mais en fin de compte, nous sommes parvenus à conclure le projet, avec quelques modifications toutefois. »
Les puits remis en fonction avec l’achat de pompes ou entièrement construits s’élèvent à trente, beaucoup d’autres ont été assainis grâce à un système rudimentaire mis à disposition des villages pour produire de l’hypochlorite de sodium. L’unité mobile ainsi que le tracteur pour la coopérative ont été achetés. La dernière étape a été l’école professionnelle, achevée il y a quelques mois, et qui s’appelle justement « Complexe scolaire privé saint Antoine de Padoue ». C’est suffisant pour émettre un soupir de soulagement. « Nous avons seulement planté des graines, conclut le père Valentino, nous en sommes conscients. Mais n’est-ce pas cela, au fond, l’enseignement de saint Antoine et de saint François ? »