Assise, un an apres
Les dommages causés aux basiliques d’Assise et aux fresques de Cimabue et de Giotto par les tremblements de terre de l’année passée ont certainement ému le monde entier. Les responsables de ces trésors uniques, Frères du couvent Saint-François et directeurs des Beaux-Arts, se sont empressés, au risque de leur vie, de constater les dégâts, récupérer les débris, mettre en sûreté les structures en danger. Leur empressement a, certes, coûté la vie à quatre personnes, deux Frères et deux ingénieurs des Beaux-Arts, ensevelis sous les gravats, le matin du 27 septembre, mais il a surtout permis de cerner les causes des dégâts et de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les destructions ultérieures et reconstruire le patrimoine endommagé ou détruit.
Aujourd’hui, Assise ressemble à un immense chantier sur lequel opèrent des experts du monde entier ; à un précieux laboratoire dont les recherches et les expérimentations et les techniques de pointe profiteront, sans aucun doute, aux monuments du monde exposés aux séismes et aux catastrophes aussi graves que ceux qui ont frappé les monuments d’Assise.
Pluie de voûtes et de gravats
Le premier chantier est à l’intérieur de la basilique supérieure, la plus touchée dans ses structures architecturales et dans ses décorations. Trois voûtains, ou quarts de voûte, le premier au-dessus de la porte d’entrée, et les deux situés à la croisée de la 4e travée et du transept, se sont écroulés, avec leurs arcs, du haut de 22 mètres, sous l’effet des secousses violentes. Leur impact s’est répercuté sur le pavement et sur les structures de la basilique inférieure.
Mais pourquoi à ces endroits précis ? est-ce, comme on l’a affirmé dans un premier temps, à cause des structures rigides des poutres en béton armé qui, dans les années cinquante, avaient remplacé les anciens chevrons en bois de la toiture ? « La chute des voûtes, expliquent Giorgio Groci et Paolo Rocchi, de la direction des Beaux-Arts de l’Ombrie, est due à l’énorme quantité de matériaux de remplissage accumulés le long des siècles. Sous l’effet des mouvements sismiques, cette masse a désarticulé la courbure des voûtes et de leurs arêtes, provoquant la catastrophe. Ces voûtains, en outre, placés dans les zones où se concentre la pression des travées de la nef, ont cédé sous l’effets du séisme qui les a soumis horizontalement et verticalement à des efforts exceptionnels. Par ailleurs, dans toutes les voûtes de la nef, on a constaté des fissures et des lézardes graves, des dénivellements et des dislocations des arêtes et des voûtes, créant par endroit des situations proches de l’écroulement. »
Les premières mesures d’urgence ont donc eu pour but de soulager les voûtes de leur poids de 1000 tonnes de matériaux : boucher les lézardes par des mortiers appropriés en ayant soin de ne pas endommager leurs bordures ornées de fresques précieuses ; rattacher les zones les plus menacées aux arcs de la toiture par des tirants pourvus de ressorts afin d’assurer une résistance constante contre toute secousse éventuelle.
A long terme, voûtains et arcs seront entièrement reconstruits, et les zones faibles consolidées, avec des matériaux du même genre que ceux employés dans la construction originale.
Tympan et clocher sous protection
Le deuxième chantier, le plus spectaculaire, est représenté par la cage tubulaire qui protège le tympan du transept gauche. L’état de santé de ce élément architectural accusait depuis longtemps de graves manques de cohésion des mortiers et des pierres. Le séisme a fait le reste : sous l’effet des secousses, les pierres se sont progressivement détachées, ouvrant un trou béant entre la corniche et le fronton, dont la chute aurait provoqué des dommages irréparables à cet élément d’architecture et aux chapelles situées à l’étage inférieur. Aussi une opération de sauvetage s’avéra-t-elle indispensable et urgente. Dans l’impossibilité d’installer un échafaudage sur le toit de la chapelle, il a fallu protéger le tympan par un contre-tympan en tubes d’acier, soulevé et mis en place par une grue de 50 mètres. Ensuite les vides furent remplis d’une mousse de polyuréthanne qui, en se solidifiant, stabilisa la structure tout entière. Une opération risquée, menée à un rythme d’enfer, sous le vents et la pluie, entre le 10 et le 14 octobre. Sans cette intervention, la forte secousse qui frappa Assise et l’Ombrie, ce même jour à 17h 23, aurait causé la perte définitive du monument.
Moins dangereuse, mais aussi nécessaire, fut la sauvegarde du clocher, endommagé dans ses structures supérieures, mais désormais entièrement recouvert, lui aussi, de tubes protecteurs.
Rattachée aux basiliques, la résidence des Frères – ou « Sacro Convento », appelé ainsi en raison de la place qu’il occupe dans les origines et l’histoire de l’Ordre franciscain – a été gravement endommagée dans les appartements du pape, le musée, le réfectoire, le cloître du pape Sixte IV datant de la seconde moitié du XVe siècle et, en général, les constructions tournées vers la vallée, y compris le grand parvis par lequel on accède directement à la basilique inférieure.
« Ouvert pour restauration »
Dans le numéro de juin 1998, une lectrice de la revue Saint François, publiée par les Frères du Sacro Convento, se plaignait de n’avoir pu, durant un voyage organisé, bénéficier de la visite guidée des basiliques d’Assise. Ces basiliques, lui répond la revue, sont ouvertes, mais « pour restauration », c’est-à-dire en plein chantier : et tout groupe, fut-il organisé, gênerait considérablement les travaux indispensables pour rendre à nouveau possibles, en l’an 2000, les visites guidées.
Dans la basilique supérieure, en effet, une étrange passerelle parcourt le bâtiment entre la toiture et les voûtes. Suspendue aux poutres du toit, en remplacement d’un échafaudage au sol, impossible à montrer en raison de risques de nouveaux écroulements, c’est elle qui a permit le déblaiement des matériaux de surcharge, la réparation des lézardes dans l’extrados et l’intrados des arcs et des arêtes, et, détail extrêmement important, l’examen minutieux de l’état réel des architectures et des décorations endommagées.
Des acteurs en tous genres
Mais qui sont ces hommes, ces femmes, ces jeunes, techniciens, artistes, étudiants qui évoluent sur ces chantiers, tous animés par la passion de redonner aux basiliques d’Assise les chefs-d’œuvre perdus ? Ces acteurs portent des noms officiels : Ministère de la Culture et de la protection du Patrimoine. Directions Générales des Beaux-Arts de l’Ombrie et d’ailleurs, Commission « Basiliques Saint-François », Communauté des Frères, sous la direction de son infatigable Custode, le Père Giulio Berrettoni ; auxquels il convient d’ajouter des organismes internationaux : Unesco, International ICOMOS Scientific Committee for Analysis and Restoration of Structures of Architectural Heritage ; et l’IRI (Institut Central de Restauration), qui a réalisé, à partir des années 50, le contrôle et la conservation des peintures de la basilique inférieure. Des restaurations qui ont porté leurs fruits, puisque, comme nous le verrons, les peintures n’ont subi de dégâts que là où les structures murales ont cédé, tandis qu’elles ont bien résisté là où le support mural n’a pas été touché. Ce même Institut avait d’ailleurs prévu d’entreprendre, à partir de novembre 1997, les travaux de restauration et de conservation des fresques de la basilique supérieure, en commençant précisément par les couples des saints franciscains de l’arc surmontant l’entrée et des Docteurs de l’Eglise de la première voûte... écroulés sous le séisme.
A ces organismes officiels, sont venus s’ajouter, après le séisme, des boursiers et des diplômés des Beaux-Arts des Universités de Toscane et de Rome, et des volontaires de toutes les régions d’Italie et de nombreux autres pays. Mais le moment est venu de faire le point sur l’état des décorations murales, œuvres de Cimabue et de Giotto.
Un travail de bénédictin
• Les pièces manquantes
L’écroulement des voûtes a provoqué la perte irréparable des fresques suivantes :
– Giotto : quatre couples de saints franciscains, dont saint François, sainte Claire, et saint Rufin, patron d’Assise, dans l’arc d’entrée ; saint Jérôme, dans le premier voûtain, série des Docteurs de l’Eglise ;
– Cimabue : l’apôtre saint Matthieu, dans la série des évangélistes, et une partie du ciel étoilé du voûtain à la croisée du transept.
Ces fresques, fragmentées en plusieurs milliers de morceaux, et mélangées à des matériaux en tous genres ont dû, notamment celles de la première voûte, être déblayées à la pelle dans l’urgence de dégager les quatre victimes. Recueillies provisoirement sous des tentes dans la prairie en face de la basilique supérieure, elles ont été installées ensuite dans les anciennes écuries et font l’objet d’un minutieux travail de récupération.
• L’ensemble des fresques
Tandis que la série des fresques de Giotto racontant l’histoire de François ont en général peu souffert, toutes les fresques des voûtes, des arcs et des arêtes ont, en revanche, été endommagées, en raison de leur étroite dépendance avec les dégâts subis par les structures murales. On a pu ainsi constater des manques d’adhésion des fresques au mur de support en bordure des zones lézardées ou fissurées (dislocations et dénivellements entre les arêtes en pierres et les voûtes en briques) ; de nombreux et menus soulèvements des couches de couleur pouvant se détacher sous l’effet des moindres secousses.
Les mesures d’urgence ont donc eu pour but d’assurer l’adhésion des fresques aux murs, et de réparer les arcs, les arêtes et les voûtes afin de consolider les supports architecturaux des fresques.
• Un puzzle original
Ce terme serait, pour les responsables des restaurations des fresques, presque irrévérencieux, s’il ne traduisait le travail minutieux de reconstitution des figures détruites par le séisme de dizaines de stagiaires et de volontaires qui réalisent, depuis le 27 septembre 1997, un vrai travail de bénédictin.
Les fragments des fresques de Giotto et de Cimabue tombées des voûtes écroulées, inventoriées et triées en 2 100 casiers en plastiques, font actuellement l’objet de minutieuses reconstitutions, à l’aide de photos reproduisant les images perdues.
« La figure qui se porte le mieux, explique à la revue Saint François Paola Passalacqua, de la Direction des Beaux-Arts d’Ombrie, est celle de saint Rufin, dont on a récupéré la quasi totalité du visage. Saint Benoît est, lui aussi, en assez bon état. Pour celles de sainte Claire et de saint François, en revanche, il faudra continuer à chercher, car le nombre de fragments récupérés est encore faible. »
Mais qu’arrivera-t-il si l’on ne parvient pas à reconstituer pour les replacer dans leur site originel les figures manquantes ? « Il est encore trop tôt pour se prononcer sur ce sujet », poursuit Paola. Il faudra probablement se contenter d’« îlots » qui, une fois reconstitués, devront être placés sur un support différent de celui d’origine, qui consistait en surface courbes ou tridimensionnelles, comme dans les arêtes. Ce sera certainement un travail de longue haleine, car, par exemple, la voûte de Giotto mesure, à elle seule, 12 mètres de long...
Originaux ou copies ?
Une grave question se pose d’ailleurs aux experts : dans le cas où la reconstitution des images serait impossible, faudra-t-il les remplacer par des photos ou de copies, se contentant d’admirer les originaux blessés et mutilés dans des musées ?
En attendant, dans la salle du Sacro Convento donnant sur le parvis, une exposition permet aux visiteurs de « revoir » les chefs-d’œuvre tels qu’ils étaient avant le séisme. Tandis que dans les écoles de la région, sous la conduite de leurs maîtres, des enfants se familiarisent, par des jeux appropriés, avec le patrimoine d’Assise, unique au monde.
Les basiliques Saint-François
La basilique inférieure a été mise en chantier, en 1228, deux ans après la mort de saint François. En 1230, elle accueillait la dépouille mortelle du Saint et, en 1239, elle était ornée de son clocher. L’église est de style roman, avec des voûtes amples, en légère pénombre et des structures puissantes. La basilique supérieure fut achevée en 1253. De style gothique, elle est éclairée par de grands vitraux historiés. Aux siècles suivants, l’ensemble des églises fut entouré par le couvent comprenant les appartements du pape, les cloîtres, le cimetière, les dortoirs et autres édifices nécessaires à la vie d’une nombreuse communauté.
L’aspect actuel est dû au pape Sixte IV (Ministre Général de l’Ordre et pape de 1471 à 1484) et à des travaux réalisés aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Pour décorer les deux églises, on fit appel aux meilleurs talents de l’époque travaillant dans la région de l’Ombrie, à Sienne, à Florence et à Rome. Parmi eux se détachent les noms de Cimabue (1240-1302), de Giotto (1266-1337) et de Simone Martini (1282-1344).
Dernières nouvelles d’Assise
Tandis que nous mettons la dernière main à cet article, nous apprenons de source sûre que la basilique supérieure sera rouverte aux fidèles à la fin du mois de décembre 1999, à la veille du Jubilé de l’An 2000.
Les 24 et 25 septembre, s’est déroulé, à Assise, un nouveau symposium international sur l’état actuel des travaux de restauration et de conservation dans les différentes églises de la ville. Nous y reviendrons dans nos prochains éditions.
L’été 1998 a vu une affluence considérable de pèlerins et de visiteurs, provenant, en majorité, du Japon, d’Espagne, de deux Amériques et d’un certain nombre de pays européens. Les visites aux églises Saint-François et Sainte-Claire ont lieu, lorsque cela est possible, par groupes restreints, mais l’intérêt des visiteurs pour ce patrimoine blessé en train de reprendre vie n’en est que plus fort et profond.