Antoine, un nom pour une vie nouvelle
Certains des lecteurs assidus du Messager de Saint Antoine le savent bien, le saint de Padoue est quelque peu trompeur : il ne s’appelle pas Antoine et il ne vient pas de la célèbre ville italienne ! Notre saint a en effet été baptisé sous le nom de Fernand (ou Ferdinand) et vient du Portugal. Dans ce pays, il est d’ailleurs connu sous le nom d’Antoine de Lisbonne. Ainsi, les paroisses portugaises à l’étranger sont souvent dénommées Saint-Antoine-de-Lisbonne. Fernand, le nom de baptême du saint patron de notre revue, est un nom important dans l’histoire de la péninsule ibérique. L’Église catholique compte ainsi cinq saints ou bienheureux s’appelant « Fernando » (dont notre saint Antoine), tous originaires du Portugal ou de l’Espagne. Le saint Fernand auquel on se réfère le plus souvent désormais était ainsi roi de Castille et de Tolède et a vécu à la même époque que notre saint : il est né quatre ans après lui et est mort une vingtaine d’années après lui.
Le saint de Padoue est donc né en 1195 à Lisbonne sous le nom de Fernand. Peut-être ses parents ont-ils été particulièrement touchés par le sens de ce nom ? Issu de deux mots germains signifiant « paix » et « courage », il peut être traduit en « celui qui a le courage de la paix ». Un beau nom pour un chrétien, qui plus est pour un futur franciscain !
Mais avant de rejoindre les disciples du Poverello, c’est vers un ordre de chanoines vivant selon la règle de saint Augustin que se tourne Fernand de Bulhões à quinze ans. Vivant d’abord dans une abbaye proche de Lisbonne, il demande à changer de lieu de vie, estimant sa vocation distraite par les visites de ses amis et de sa famille. Il est alors déplacé vers la maison-mère de sa congrégation, une abbaye située dans la région de Coimbra. C’est alors que le jeune prêtre fait la connaissance d’autres religieux installés dans la région dans un ermitage. Leur mode de vie simple, dépouillé et évangélique l’attire : vous les aurez reconnus, ce sont des disciples de saint François d’Assise, qui — soulignons-le — à l’époque, n’est pas encore saint puisqu’il est encore vivant !
Évangéliser le Maroc
S’il admire leur mode de vie, Fernand de Bulhões ne rejoint pas tout de suite ceux qui sont désormais connus sous le nom de Franciscains. Il faudra d’abord la fécondité du martyre de cinq d’entre eux, partis au Maroc pour évangéliser les Sarrasins. Les frères sont tués, mais leurs corps sont ramenés au Portugal et le don de leur vie édifie les habitants, dont le jeune père Fernand. « J’aimerais moi aussi être des vôtres, si vous me promettez que, une fois chez vous, vous m’enverrez au Maroc, pour partager avec ces saints martyrs, la couronne du martyre », confie-t-il ainsi à des frères venus frapper à la porte de son couvent pour demander l’aumône.
Au printemps 1220 — il y a donc 800 ans exactement — Fernand de Bulhões obtient l’autorisation de quitter les Augustins pour revêtir la bure franciscaine. Il choisit alors de prendre le nom d’Antoine, en hommage à saint Antoine Le Grand. Aussi connu sous le nom de saint Antoine du désert, cet Égyptien des IIIe et IVe siècle est le fondateur de l’érémitisme chrétien. C’est d’ailleurs sous sa protection qu’était placé l’ermitage aux alentours de Coimbra.
Cette pratique du changement de nom est très ancienne et a une origine biblique. « Tu ne seras plus appelé du nom d’Abram, ton nom sera Abraham, car je fais de toi le père d’une multitude de nations », dit le Seigneur à Abraham (Gn 17, 5). Prendre un nouveau nom symbolise une nouvelle naissance. De nos jours, certains religieux continuent à changer de nom lors de leurs vœux. La pratique est surtout connue pour les papes, qui ont tous, à l’exception de deux d’entre eux, pris un autre nom lors de leur élection depuis l’an 996.
En septembre 1220, conformément à son souhait, Antoine part au Maroc avec un frère pour évangéliser cette terre. Les choses ne se déroulent cependant pas comme il les avait imaginées : Antoine tombe gravement malade et est dans l’incapacité de prêcher. Il prend alors le chemin du retour vers le Portugal, mais, alors qu’il traverse la Méditerranée, son bateau est pris dans une grave tempête et finit par accoster en Sicile.
Le maître de parole
Antoine est alors recueilli par les frères de Messine et c’est avec eux qu’il se rend au grand chapitre de la Pentecôte convoqué par François d’Assise et réunissant tous les frères, alors environ 5 000. S’il ne rencontre pas le Poverello personnellement, Antoine l’entend et est conforté dans son choix par ses paroles. À la fin du chapitre, Antoine est seul, inconnu de tous et ne sait où aller. Le provincial de Romagne, l’invite alors à rejoindre l’ermitage de Forlì. Composé de frères convers, ils pourront ainsi profiter d’avoir un prêtre parmi eux pour célébrer la messe. En plus de l’Eucharistie, Antoine se voit confier les tâches les plus humbles du couvent.
En 1221, dominicains et franciscains de Forlì sont réunis ensemble à l’occasion des ordinations sacerdotales. À l’heure du repas, les uns et les autres déclinent la proposition de prêcher. On se tourne finalement vers Antoine, qui accepte après quelques réticences. Bien vite, chacun se rend compte de son éloquence et de sa maîtrise des Écritures.
À compter de ce jour, Antoine est reconnu comme maître de parole. Il est envoyé combattre les hérésies et les miracles à son passage se multiplient. En 1227, il devient provincial d’Italie du Nord et parcourt la région ainsi que le sud de la France. Quatre ans plus tard, il meurt d’épuisement à seulement 36 ans près de Padoue, ville qui lui est désormais irrémédiablement liée.