Albert Schweitzer, une vie pour les autres

Mais qui est Albert Schweitzer ? Le récit de sa jeunesse ne laisse pas deviner le bouleversement qui va transformer le cours de son existence, à l’âge de 30 ans. Né le 14 janvier 1875, à Kaysersberg en Alsace, il connaît une enfance et une adolescence heureuse, dans une famille unie. Son père est pasteur dans une petite paroisse paisible, Gunsbach. Il manifeste dès son plus jeune âge un don particulier pour la musique et à 9 ans, il tient seul l’orgue de l’église du village. Quelques événements en apparence anodins, une chasse aux oiseaux dans une forêt voisine de Gunsbach, les persécutions infligées par les gamins du village à un vieux colporteur juif, vont marquer pour la vie cet enfant très sensible et lui donner une ligne de conduite dont il ne s'éloignera plus : respect de tout être vivant, respect des différences, refus des privilèges…

A 30 ans, Albert est un organiste réputé dans toute l’Europe, un musicologue averti, mais aussi un théologien, un historien, un philologue, auteur de nombreux ouvrages.

« Je veux devenir médecin  ! »

Coup de tonnerre. En 1904, Albert envoie à sa famille et à ses amis une lettre étonnante. Il a décidé d’entamer des études de médecine et de partir en Afrique où il voudrait passer le reste de sa vie pour y soigner les indigènes ! C’est là un projet extraordinaire et pourtant les réactions de son entourage sont très violentes. Un brillant avenir semble tout tracé devant lui et sa famille lui reproche vivement de mettre tous ces dons sous le boisseau. Mais Albert est alsacien, donc frondeur. Pour lui, la musique ne fait pas le poids à côté d'un jeune enfant noir qui meurt de faim ou de fièvre. Il donne à ses amis cette réponse superbe : « Au commencement, il y a l’acte »,disait Goethe…

L'enfer noir de Lambaréné

C’ est ainsi que le 26 mars 1913, le docteur Albert Schweitzer et sa jeune femme, Hélène Breslau, s’embarquent à destination du Gabon emportant avec eux 75 caisses de matériel de tout genre, sans oublier le piano que des amis leur ont offert. « Personne ne s’imagine combien Jean-Sébastien Bach m’a rendu courage en Afrique », avouera-t-il plus tard. A Lambaréné, petit poste protestant à l’orée de la forêt vierge, commence pour le jeune couple une vie épuisante de pionniers. Dans une nature hostile, soumis à un climat éprouvant, entouré d’une population misérable et atteinte dans sa quasi-totalité de fièvre jaune et de malaria, Albert Schweitzer, musicien, historien, conférencier, se transforme en bûcheron, maçon, menuisier. De ses propres mains et avec l’aide de sa femme, il transforme un poulailler désaffecté en un dispensaire, pourvu d’une salle d’opération. Très vite, les malades commencent à affluer. Ils parcourent des dizaines de kilomètres pour consulter le Grand docteur blanc, l’Oganga, le sorcier qui tue le malade pour le ressusciter ensuite.

En 1914, la guerre éclate en Europe et le Docteur Schweitzer en tant qu’alsacien est déporté en France avec son épouse. Un an plus tard, il est rapatrié chez lui, à Gunsbach. Profitant de cette oisiveté forcée, et pour rassembler des fonds pour le petit hôpital de Lambaréné, Albert Schweitzer se met à voyager à travers toute l’Europe et l’Amérique, donnant concert sur concert, conférence sur conférence et en 1924, abandonnant une fois de plus les tournées triomphales et les honneurs, il s’en retourne vers l’enfer noir de Lambaréné, la brousse et la misère. Le grand thème qui inspire toute sa pensée et son action, le fondement de son éthique personnelle se résume en quelques mots : « Je suis une vie qui veut vivre au milieu de la vie générale qui veut vivre. Je veux manifester pour toute vie le même respect que celui que je porte à la mienne propre. » Il met en pratique ce principe au point d’étonner parfois son entourage. Par exemple, lorsqu'il mange des pamplemousses afin de se désaltérer, il en répande le jus au sol pour ses fourmis : « Regardez mes fourmis ! On dirait les vaches de Gunsbach autour de l'étang ! »

Parti comme médecin et non comme missionnaire, Albert n’impose pas aux tribus de la forêt vierge un mode d’hospitalisation propre à notre société urbaine. Il a créé un village-hôpital où les malades viennent avec leur famille et vivent selon leurs coutumes. Pourtant l’œuvre médicale du docteur Schweitzer est vivement critiquée en Europe par certains médecins ou journalistes. On lui reproche tout à la fois son attitude paternaliste envers les Africains et le manque d’hygiène dans la tenue de l’hôpital qui ne correspond pas aux normes occidentales. En pleine brousse, on s’en serait douté… L’hôpital est en réalité un village fait de cabanons et de masures où les gens vivent dans la promiscuité.
La grande rue en terre battue est encombrée de marmites, de cuvettes de détritus, de volailles, de chèvres.

Mais cette identité avec leur cadre de vie traditionnelle conduit de nombreux Gabonais à accepter de se rendre avec leur famille à Lambaréné pour s’y faire soigner : ils n’auraient pu supporter un séjour dans un hôpital européen, avec tout ce que cela suppose pour eux en terme de ruptures psychologiques.

En 1852, le Docteur Schweitzer reçoit le prix Nobel de la Paix. Il y voit la consécration et la reconnaissance de son action en Afrique. Ce prix servira à la construction d’un village de lépreux édifié sur une colline proche de l’hôpital de Lambaréné et achevé en 1954.

Homme complexe, aux multiples facettes, despote sans doute, mais animé avant tout du désir de soulager la souffrance des autres, Albert s’est éteint dans son hôpital de Lambaréné le 4 septembre 1965.

Après sa mort, son hôpital abandonné sera transformé en musée, mais un nouvel hôpital, inauguré en 1981, perpétue encore aujourd’hui l’œuvre du grand docteur blanc.

----------------------------

* Le Manifeste pour une culture de la paix et de la non-violence, rédigé par un groupe de Prix Nobel de la paix, a été signé par des personnalités telles que le Dalaï Lama, Desmond Tutu, Mikhaïl Gorbatchev, Jacques Chirac, Tony Blair, Nelson Mandela, Elie Wiesel, Rigoberta Menchum Tom. Le Manifeste 2000 n'est ni un appel ni une pétition s'adressant à des instances supérieures, mais une prise de responsabilité qui commence au niveau de l'individu.

Site : http://www3.unesco.org/manifesto2000