12 avril 1961 : Gagarine, premier homme dans l’espace
Dès ses origines, la conquête spatiale fut une guerre, lancée pour la guerre et née de la guerre. Loin de l’image idéalisée du grand souffle de l’aventure humaine, l’astronautique fut une lutte sans scrupule, une course au prestige et au pouvoir entre les deux Grands.
Aussi, le 4 octobre 1957, lorsque les Américains apprennent que de vulgaires moujiks, communistes de surcroît, ont réussi à envoyer le satellite Spoutnik 1 tourner à 900 km d’altitude autour de la Terre, ce fut l’équivalent de Pearl Harbor : les Russes allaient contrôler les cieux et seraient capables de larguer des bombes atomiques depuis ces plateformes.
Pour l’URSS, c’est la preuve incontestable de la supériorité du communisme. Réalisant l’importance de la conquête spatiale pour le prestige national, Khroutchev demande à Sergei Korolev, l’ingénieur en chef du programme russe, de trouver le moyen de défier à nouveau l’Amérique.
Avant Gagarine, la chienne Laïka
Korolev relève le gant et annonce qu’un homme pourra être envoyé dans l’espace. Un mois plus tard, le 3 novembre, Laïka, chienne de trois ans, est mise en orbite par Spoutnik 2. Bien que Laïka meure d’hypothermie au bout de sept heures, l’expérience démontre qu’un être vivant pouvait survivre à une mise en orbite et supporter les effets de l’apesanteur. Il faut attendre plusieurs décennies pour que les Russes regrettent publiquement d’avoir sacrifié Laïka. Le 19 août 1960, les deux chiens Belka et Strelka sont les deux premiers êtres à revenir vivants d’un vol dans l’espace.
Entre-temps, ont lieu la sélection et l’entraînement de vingt hommes susceptibles d’être envoyés dans l’espace parmi de jeunes pilotes de l’air ayant l’habitude de subir des accélérations importantes. Compte tenu de l’espace restreint de la capsule Vostok, il faut un homme de moins de 1,75 m et pas plus de 70 kg.
On les fait sauter en parachute, passer en centrifugeuse et s’entraîner sur un simulateur. Un candidat se démarque entre tous : Youri Gagarine. Né en 1934, il mesure 1,58 m. Sportif accompli, brillant mathématicien doté d’une mémoire fantastique, il est en outre modeste, plein d’humour et toujours de bonne humeur, ce qui le rend très populaire auprès de ses pairs. Le choix final étant entre Titov et Gagarine, on préfère ce dernier, pressentant en lui, en raison de ses origines prolétaires, un futur héros du peuple.
Il apprend qu’il est l’élu à peine trois jours avant le décollage. Comme le remarquera plus tard l’astronaute français Jean-Pierre Haigneré : « Il fallait du cran pour se lancer le premier à cette époque. La fiabilité du vol était très faible et compte tenu des tirs précédents, Gagarine avait moins d’une chance sur deux de revenir vivant. Et il le savait probablement ».
La nuit qui précède le 12 avril 1961, jour du lancement, Sergei Korolev a mal dormi. Gagarine s’est réveillé à 5h30 et a pris un petit-déjeuner à base d’aliments en tube. Superstition des pilotes russes, il ne s’est pas rasé. Korolev vient l’embrasser et lui dit espérer le voir marcher sur la lune un jour. Gagarine est installé dans le vaisseau Vostok 1 : « Aube appelle Cèdre (l’identifiant de Gagarine) le compte à rebours va commencer ». Il répond : « Je me sens bien, excellent état d’esprit, prêt à y aller »
« C’est parti ! »
À 6h07, le décollage a lieu depuis le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan : « Nous vous souhaitons un bon vol. Tout va bien. » Gagarine répond par le célèbre « Poyekhali ! (C’est parti !) ». À 6h09, les quatre propulseurs latéraux se détachent. À 6h14, il dit : « Tout fonctionne bien. Je peux voir la Terre. La visibilité est bonne ». À 6h17, Vostok atteint son orbite. L’altitude moyenne du vol sera de 250 km et la vitesse de 7,9 km/seconde. À 6h21, il est au-dessus du Pacifique Nord, passe l’Équateur à 6h48 et indique à 6h49 qu’il a atteint la face nocturne de la Terre.
À 7h25. Vostok est à l’altitude de freinage au-dessus de l’Afrique Centrale. Le module de service et le module de descente se séparent. À 7h55, Vostok est à 7 km du sol, la trappe s’ouvre et Gagarine s’en éjecte. À 2,5 km le parachute est déployé. Gagarine chante pour lui-même. Il touche terre à 8h55 dans la région de Satarov. Les gens prennent peur en le voyant dans sa combinaison spatiale : « Trouvez-moi un téléphone pour Moscou. Je suis un soviétique comme vous », les rassure-t-il.
Ce jour-là, l’Union soviétique de Khrouchtchev remporte une victoire écrasante sur les États-Unis en pleine Guerre froide. Gagarine devient une star internationale qui rencontre les grands de ce monde, le meilleur ambassadeur du communisme. Trop précieux pour la propagande, on ne veut plus l’envoyer à nouveau dans l’espace. Il mourra le 27 mars 1968 au cours d’un vol d’entraînement dans des circonstances non entièrement élucidées.
Piqués au vif, les Américains vont riposter en mettant la barre plus haut. Le 25 mai 1961, Kennedy annonce qu’un Américain marchera sur la lune avant dix ans. Et de fait, l’exploit de Gagarine marque la fin des exploits soviétiques, mais l’Amérique ne sera totalement vengée que le 21 juillet 1969 lorsque Neil Armstrong et Buzz Aldrin fouleront ce sol tant convoité.