Mgr André Vingt-Trois
Comment allez-vous, un an après votre nomination ?
Très bien ! Je n’ai pas vu passer l’année, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. Cette année a été très bouleversée du point de vue de la vie de l’Eglise avec la mort du Pape et l’élection du nouveau Pape. Et pour moi, il y a eu l’immersion dans l’église de Paris.
Ce diocèse de Paris, vous le connaissiez déjà bien. Pourtant on dit que vous avez rencontré beaucoup de gens au cours de cette année ?
Oui, j’ai passé mon temps à ça ! J’ai rencontré plusieurs “types” de gens, si je puis dire : des services et mouvements diocésains, des équipes d’animation, évidemment les doyens, et les curés, par petits groupes d’une quinzaine ; j’ai rencontré aussi les responsables et animateurs d’aumôneries de l’enseignement public, les directeurs d’établissements catholiques…. Bref tous ceux que j’ai pu rencontrer !
Et puis, début décembre, vous avez pris la parole…
Oui. Au cours de ces mois, mon écoute était orientée par la question : comment prolonger l’effet de Paris-Toussaint 2004 ? Comment tirer profit de ce qui a été vécu pour redynamiser la mission ? Il m’a semblé important que ce que j’avais pu collecter donne une image globale pour tout le monde. La mission de l’évêque est d’être un serviteur de la communion, de mettre les communautés en relation les unes avec les autres. Cela passe forcément à un moment ou à un autre par une lecture personnelle, à travers laquelle on trace des axes.
Vous avez retenus 4 axes : la jeunesse, la solidarité, la famille et l’éthique. Pourquoi ceux là ?
Il y a des raisons différentes. Certains ont été retenus parce qu’ils ressortaient des préoccupations, comme la pastorale des jeunes. Il est évident que la jeunesse est une question préoccupante pour toute communauté. Ou bien la famille parce que c’est évidemment une question qui est au cœur de l’avenir de notre société. Il y a d’autres questions qui relevaient davantage d’un jugement sur la situation présente de l’Eglise, comme ce qui correspond au champ éthique. Je pense que notre société est confrontée, et va l’être de plus en plus, à des décisions qui vont engager l’avenir de l’homme. Il est important que les chrétiens soient présents, et agissent dans les lieux où ces décisions se prennent.
Maintenant, concrètement, que va-t-il se passer ?
Chaque paroisse est invitée à faire apparaître et à saisir comment elle se représente la mission ; quels instruments, quels organes, quels organismes sont associés à la réflexion sur la mission ; et comment cette réflexion peut déboucher sur des actions…
La mission est au cœur de la vie de l’Eglise. Soit. Mais c’est aussi parfois un peu une “tarte à la crème”… Quel est le signe d’une communauté missionnaire ?
Nous transitons, depuis 60 ans maintenant, d’une représentation de l’Eglise qui avait tendance à s’identifier avec la société française à une Eglise qui doit trouver sa place et son mode d’expression dans une société qui ne lui est pas superposable. L’esprit missionnaire c’est la prise de conscience de cet écart entre la société globale et la communauté chrétienne. Qu’est ce qu’on fait de cet écart ? Est-ce qu’on se contente de mettre en place des éléments de survie et de coexistence paisible ? Ou bien est-ce qu’on se pose la question de l’annonce du Christ ?
Les sujets d’inquiétude sont nombreux aujourd’hui, pour l’Eglise elle-même. L’espérance est-elle toujours plus forte ?
Oui, l’espérance est plus forte parce que les motifs d’inquiétude sont essentiellement liés à l’évaluation que nous pouvons faire de nos moyens. Ce ne sont pas simplement les données brutes qui comptent, c’est la manière dont nous voyons les données brutes. On peut dire, en données brutes statistiques, que la pratique dominicale a baissé, la pratique sacramentelle a baissé, la catéchisation des enfants a baissé… tout cela est vrai. Mais quand je passe dans les églises le dimanche, je vois un peuple vivant ! Si je ne me place pas sur un plan seulement statistique, mais sur un plan davantage qualitatif, que vois-je ? Je vois que Dieu, l’Esprit Saint, mobilise des hommes et des femmes de toutes conditions, de tous âges, et les met en mouvement !
Par exemple ?
Le jour de Noël cette année, le 25 décembre, sur l’ensemble des offices de la cathédrale, il y a eu 18 000 personnes. Je suis sûr que si on fait la somme des participations aux offices de Noël on dépasse 250 000 personnes dans Paris. Il y a donc 10% de la population parisienne pour qui le mystère de Noël représente quelque chose. Ça ne fait pas que tous ces gens-là viennent à la messe le dimanche, mais ça représente une force considérable.
Et à la messe du dimanche, justement, que voit-on ?
Quand on va dans les messes du dimanche dans les paroisses parisiennes, ce qui me frappe c’est que ce sont des assemblées de familles : il y a des parents, des enfants, toutes les tranches d’âge. Il y a 50 ans, il n’y avait que des femmes et des vieux. C’est une idée complètement farfelue de s’imaginer qu’on avait des assemblées pleines de jeunesse ! Il y a donc à travailler d’abord le regard qu’on porte sur la réalité, pour voir les sources d’espérance.
Vous le rappeliez au début de cet entretien, l’année a été marquée par le changement de Pape. Que retenez-vous de cette première année de Benoît XVI ?
Je vois d’abord un changement très profond pour lui, à son âge. Il n’est pas simple de passer, à 78 ans, de la perspective d’une retraite bien méritée à un ministère plus lourd encore.
Ce qu’on voit très bien c’est sa capacité d’adaptation : c’est un homme humble qui se laisse un peu modeler par la fonction. Et en même temps, on voit bien sa capacité à transformer l’exercice de la fonction par rapport à Jean-Paul II, simplement en prenant soin d’être lui-même. Il manifeste autrement l’exercice du pontificat.
Selon toute vraisemblance, vous serez un jour créé cardinal.
Oui, ça peut arriver… (rire) C’est lié au siège de Paris.
C’est une collaboration plus étroite avec le Pape et ses collaborateurs, c’est la participation plus directe à un certain nombre de congrégations romaines. J’ai la chance que le cardinal Lustiger, n’ayant pas encore atteint ses 80 ans, est toujours membre des congrégations. Donc ma nomination n’urge pas. C’est le choix du Pape… quand il voudra, comme il voudra…
Après la mort de Jean-Paul II, vous invitiez les parisiens à se rappeler le fameux « N’ayez pas peur » ? Vous-même, n’avez vous donc pas peur ?
Non, je n’ai pas peur.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Que vous évoque le nom de Saint Antoine ?
Deux églises et un hôpital parisiens. Et puis un faubourg. Ou plutôt un quartier de Paris qui s’appelait le faubourg Saint Antoine mais qui est aujourd’hui un quartier central. (NDLR : il s’agit là de références à saint Antoine du Désert, seule une église, dans le XVe arrdt. de la capitale, porte le nom de St Antoine de Padoue – cf. Messager de janvier 06)
A quel moment vous vous sentez plus proche de Dieu ?
Pendant les retraites spirituelles. J’en fais 3 ou 4 par an : une retraite personnelle, une ou deux retraites pastorales et celle des évêques d’Île de France.
Où priez-vous le mieux ?
Devant le Saint Sacrement.
Qu’est ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Certainement les deux messes, celle de départ de Tours et celle d’arrivée à Paris. La messe de prise de possession du siège a été un moment très fort, par la participation de nombreux parisiens, et aussi l’expression de l’amitié et de la cordialité des tourangeaux, chez qui je suis resté relativement peu de temps (6 ans ce n’est pas très long) et avec qui se sont noués des liens très profonds. Et comme souvent c’est au moment où l’on s’en va que ça apparaît…