Rencontre avec... Memona Hintermann
De la petite fille qui vole pour manger et qui découvre l’usage de la fourchette à 18 ans, à la journaliste, chevalier de la Légion d’Honneur, quel chemin parcouru !
Oui, c’est à peine croyable… En mars dernier, j’ai même été invitée à la Réunion pour être faite citoyenne d’honneur de la ville de Tampon, où j’ai grandi… Comme quoi les gens m’ont pardonné mes vols de poules et de goyaves ! Ma mère était là, très digne comme à son habitude, et mes frères avaient les larmes aux yeux. J’étais tellement heureuse pour ma famille qui a longtemps porté les stigmates de cette vie de rapine…
De quoi êtes-vous le plus fière ?
D’avoir tenu la promesse que j’ai faite à ma mère, avant d’entrer en sixième : lui acheter une maison. Elle qui a passé sa vie à se faire expulser des cases en tôle ondulée que nous ne pouvions pas payer, méritait bien un toit. Et je ne remercierai jamais assez le Ciel de m’avoir permis de faire un métier qui la préserve enfin de l’incertitude.
Votre livre, Tête haute, résonne comme un hymne à l’amour adressé à la France… Quel en a été l’élément déclencheur ?
C’est effectivement un cri d’amour pour ce pays, la France, qui grâce à l’école « gratuite laïque et obligatoire » m’a tiré de la misère, mais c’est aussi – et surtout – un cri de colère face à la révolte des jeunes des banlieues à l’automne 2005. Les images de ces jeunes, brûlant des voitures et proférant des insultes à l’égard des Français m’ont scandalisée. Comment avons-nous pu en arriver là ? C’est cela l’élément déclencheur du livre. J’ai eu envie de réagir et de dire à ces jeunes : « Enfants de la Patrie, bougez-vous ! Ne soyez pas ingrats à l’égard de ce pays qui a accueilli vos parents ! »
Quelle légitimité avez-vous pour porter ce cri d’indignation ?
Ma propre vie, et la misère que j’ai connue pendant toute mon enfance. Si moi, fille d’un indien musulman pauvre et d’une mère paysanne très catholique qui a donné naissance à 11 enfants, j’ai pu m’en sortir, pourquoi eux ne le pourraient pas ? Bien sûr, je comprends qu’ils en aient marre de se sentir comme des citoyens de seconde zone, mais je pense qu’il y a d’autres moyens d’exprimer sa colère que de brûler des voitures. Je pense surtout qu’il faut qu’ils arrêtent de toujours faire des reproches au peuple français. La vie est dure pour tout le monde ! J’ai envie de leur dire ce que Kennedy a dit aux Américains : « Au lieu de vous demander ce que le Pays peut pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez pour le Pays. » Et surtout, « arrêtez de culpabiliser les Français qui se retroussent les manches ! » Les médias parisiens ont une large part dans cette culpabilisation de la société, et les jeunes savent d’ailleurs très bien profiter de notre lâcheté.
Que voulez-vous dire ?
Aujourd’hui en France, il est impossible de parler d’immigration sans être taxé de racisme. On n’ose même plus demander à quelqu’un d’où il vient. A la Réunion, dans un salon du livre, on entend des « Comment ça va le chinetoque, comment ça va l’arabe ? », et cela ne fâche personne ! Ici, on marche sur des œufs, on a peur d’appeler un chat un chat et on ne parle plus que par code ou par périphrase. Et le résultat, c’est que les Français, lassés de ne pas se voir proposer un vrai débat sur l’immigration où l’on chercherait des solutions à ce “vivre ensemble”, se vengent dans l’isoloir. Or c’est en ouvrant un débat sur ces questions que l’on aidera ces jeunes à s’intégrer. Et attention, intégrer ne veut pas dire assimiler. Je suis créole et fière de mes origines. Mais je partage avec vous les valeurs de la République et je me soumets à ses règles. Je crois qu’on ne négocie pas la culture des autres. Quand je vais à Kaboul, je suis voilée de la tête aux pieds… En France, c’est pareil, il y a des règles à respecter.
Comment la petite fille pauvre que vous étiez en est arrivée là ?
Je dois tout à l’école républicaine ! Pour s’en sortir quand on est pauvre, il n’y a pas 10 000 solutions. C’est pour cela que je suis en colère face à ces jeunes qui attendent tout des autres. Moi, pour apprendre le français, j’ai trouvé le peu de papier dont nous disposions et j’ai grappillé des mots où je pouvais. Je n’ai pas attendu d’avoir une médiathèque ! Je me souviens d’une institutrice qui nous disait : « Si vous travaillez bien, un jour, vous irez à Versailles. » Moi, je l’ai toujours cru ! J’avais soif d’apprendre, et ma mère, pourtant analphabète, ne me faisait pas de cadeau. Je DEVAIS avoir des bonnes notes.
Vous parlez beaucoup du courage de votre mère dans votre livre…
Bien sûr, c’est elle qui nous a appris à garder la tête haute. Ce n’était pas la tendresse, ma mère – la pauvre, elle n’avait pas le temps de nous en donner – mais elle nous a appris à nous battre et à serrer les dents. C’est une femme très catholique, elle nous disait souvent : « Dieu voit tout. » Cela m’a marquée, cette idée qu’on ne peut pas faire n’importe quoi.
Est-ce pour suivre son exemple que vous avez fait le choix de la religion catholique plutôt que de l’islam, religion de votre père ?
Le jeudi, pendant que mes copines profitaient de leur jour de congé pour jouer à la marelle, mon père nous obligeait à aller à l’école coranique. Là, je devais réciter comme un âne des sourates auxquelles je ne comprenais rien. C’était désespérant ! En revanche, à l’église, où j’accompagnais ma mère, cela sentait bon le lys, les gens chantaient… et puis il y avait la Vierge Marie, cette mère douce et tendre. Entre les deux religions, le choix s’est imposé !
La foi vous a-t-elle aidée pendant ces années de pauvreté ?
Bien sûr, c’était notre boussole. Dans le chaos de ma famille qui ne finissait pas de s’épuiser sur la misère, j’avais besoin d’une discipline. Et croire en Dieu me donnait l’idée qu’il existait un ordre.
Aujourd’hui, la foi est-elle toujours votre boussole ?
Ma foi est devenue plus intime, plus proche. Ma relation à Dieu relève davantage d’une forme de compagnonnage spirituel. Je ne suis pas non plus une grenouille de bénitier, mais j’aime me recueillir dans une église pour rendre grâce dans un tête-à-tête avec Dieu. Cela me doit quelques réflexions de mes équipes de tournage quand je suis en reportage… Mais je me fiche complètement qu’ils me trouvent ridicule ! En revanche ce qui me met en colère – encore ! – c’est la critique systématique de la religion catholique par ceux-là même qui, au nom de la tolérance, prônent la compréhension pour l’islam. C’est tellement facile de taper sur les chrétiens, ils ne se défendent jamais. Je pense que nous devrions davantage nous affirmer. Garder la tête haute.
Questionnaire de saint Antoine
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Saint Antoine est très aimé à la Réunion. Dans ma famille, c’est le saint que l’on prie le plus, après la Vierge. On l’invoque pour retrouver les objets perdus, mais aussi pour toutes les causes désespérées : un problème de boulot, un enfant qui ne va pas bien…
Etes-vous déjà allée à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Non, je n’ai pas eu cette chance, mais je compte bien y aller un jour pour honorer ce saint qui est à mes yeux un consolateur, un conseiller calme et éloquent.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Dans les moments compliqués, dangereux. Je pense notamment à un voyage dans les Balkans où j’ai vu ma fin arriver à trois reprises… Dans ces cas-là, que faire d’autre que prier ?
Comment priez-vous ?
Je récite souvent le Notre Père, même si je trouve que c’est une prière difficile, surtout lorsqu’il s’agit de dire « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Je préfère fredonner des chants comme le Plus près de toi mon Dieu. Dans ma prière personnelle, je m’adresse directement à ce Dieu que je n’imagine que compatissant et miséricordieux. Avec l’âge et la sérénité, je m’aperçois d’ailleurs que je le prie moins pour négocier ou lui demander des choses que pour le remercier.
Qu’est-ce qui vous a rendue le plus heureuse cette année ?
En dehors de ma colonne vertébrale qu’est ma famille, je garde un souvenir formidable du tour de France que j’ai fait pour la promotion de mon livre.