À l’écoute des ermites
Eremo delle Carceri. Ce nom résonne de manière enthousiaste pour tout ami des Franciscains et d’Assise ! En effet, ce lieu si évocateur de la vie du Poverello est reculé de la ville, sur le flanc du mont Subasio, à près de 800 mètres d’altitude, proche de grottes et d’une source d’eau. Voici le décor idéal pour saint François qui avait trouvé ce lieu de ressourcement et qui aimait cette vie en ermitage, eremo, en italien. L’érémitisme est l’état de vie consacrée le plus anciennement connu, attesté dès le IIIe siècle. Cette vie a connu un bel essor en Orient avec les Pères du désert, puis en Occident, en particulier en Irlande. Au VIe siècle, l’érémitisme n’est plus admis qu’en dépendance d’un monastère : la vie solitaire apparaît comme le couronnement de l’itinéraire du moine. Puis les périodes de floraison et de déclin se succèdent jusqu’au XXe siècle qui connaît un renouveau érémitique. Les ermites, hommes et femmes, recherchent la plénitude de cette vocation, qui est atteinte dans le fait de demeurer en permanence dans la proximité du Seigneur. En cela, elle représente le cœur de toute vie consacrée : suivre le Christ de plus près. C’est ce que cherche une ancienne moniale devenue ermite qui « tente de vivre sa vie enracinée dans le Christ au XXIe siècle dans une dimension de contemplation et de solitude ». Non sans humour, cette femme qui préfère rester cachée et anonyme, dit n’être « ni sportive, ni grande ascète, ni associable », mais souhaitant aimer le Seigneur, tout simplement.
Un cadre strict
En Occident, les Chartreux et les Camaldules sont les ordres monastiques dans lesquels la vie solitaire a reçu une organisation minutieuse. Mais pour les ermites hors de la vie monastique, le Code de droit canonique distingue deux aspects : l’érémitisme (l’ermite se retire au désert, eremos, loin des lieux habités) et l’anachorétisme (l’ermite vit en reclus, dans une grotte, dans un lieu proche d’une communauté). L’Église reconnaît donc la vie érémitique par laquelle les fidèles vouent leur vie à la louange de Dieu et au salut du monde, « dans un retrait plus strict du monde, le silence de la solitude, la prière assidue et la pénitence ». L’Église demande à ce qu’une règle de vie soit établie et respectée par l’ermite. Les conditions d’admission à la vie érémitique n’étant pas inscrites dans le Code de droit canon, l’Église vérifie alors par des entretiens avec le candidat ermite sa foi, sa santé physique et psychique, son projet de travail et son expérience spirituelle. La règle de vie doit regarder la nature de la consécration et de l’engagement ainsi que la vie sacramentelle. Le fait d’installer une règle de vie permet de garantir une réelle solitude non déshumanisante et de ne pas glisser dans les dangers qui subsistent.
Les dangers qui guettent
Un ermite connaît les dangers qui le guettent : s’il arrive en retard à l’office, aucune sœur ou aucun frère ne lui dira ; le dépouillement, s’il est une libération pour certains, peut aussi être un motif de fierté pour d’autres. L’impression de perdre son temps est aussi une tentation. Alors certains ermites refusent tout excitant, mangent frugalement, jeûnent régulièrement, fuient le confort, dorment le minimum qui leur est nécessaire, éliminent les distractions. La rigueur de l’ermitage et l’ascèse sont des chemins pouvant faire émerger le meilleur de l’homme. Un ermite qui vécut cinquante ans dans une grotte dans le Var avait une absence totale de distraction et de divertissement. « Pas de télé, pas de radio, pas de musique et assez rapidement pas de lecture. Ce frère trouvait sa joie dans ce qui était à la portée de tous : le fil quotidien et continu d’une présence pauvre et dépouillée », explique un proche de cet ermite. La vie d’un ermite semble le contraire de la vie sociale actuelle qui prône davantage l’exubérance, l’excitation, la recherche insatiable du confort et du plaisir et une volonté parfois affaiblie.
Une vocation ecclésiale
La vocation de l’ermite est à l’opposé de l’oisiveté. Le pape Paul VI, en 1977, voyait la vie érémitique, et particulièrement celle de saint Charbel, moine et ermite libanais, comme « une pratique assidue, poussée à l’extrême, des trois vœux de religion, vécus dans le silence et le dépouillement monastiques : d’abord la plus stricte pauvreté pour ce qui est du logement, du vêtement, de l’unique et frugal repas journalier, des durs travaux manuels dans le rude climat de la montagne, une chasteté qu’il entoure d’une intransigeance légendaire ». « Mais la clé de cette vie en apparence étrange, poursuit Paul VI, est la recherche de la sainteté, c’est-à-dire la conformité la plus parfaite au Christ humble et pauvre, le colloque quasi ininterrompu avec le Seigneur ». L’austérité vécue par l’ermite libanais « l’a mis sur le chemin de la sérénité parfaite, du vrai bonheur ; elle a laissé toute grande la place à l’Esprit-Saint ». Cette pleine disponibilité au Seigneur est aussi ce qui a marqué un autre ermite, saint Pierre Damiani (XIe siècle).
Pour Benoît XVI, cet ermite italien « incarne un choix évangélique radical et un amour sans réserve pour le Christ, exprimé de manière si heureuse dans la Règle de saint Benoît : ne rien placer, absolument rien, avant l’amour pour le Christ ». Cette relation intime avec le Christ et sa contemplation était aussi ce à quoi appelait Charles de Foucauld.
Les ermites « exercent une fonction dont l’Église ne saurait se passer », assure Paul VI. Ils sont cachés et veulent le rester, mais leur présence est une richesse pour l’Église.