Le tombeau vide, cœur de la foi
Si ce n’est dans l’hostie consacrée, est-il un lieu plus au cœur même de la foi pour un chrétien que la basilique du Saint-Sépulcre ? D’autant que, malgré son nom, l’édifice n’accueille pas seulement le tombeau où le Christ a été déposé après sa mort sur la Croix : en son sein se trouve également le Golgotha. Le Saint-Sépulcre est ainsi tout à la fois la basilique qui protège le lieu où Jésus est mort, mais aussi celui où il est ressuscité. Tout le mystère pascal s’est donc déroulé précisément entre ses murs, le Salut du monde s’y est réalisé complètement.
Mais attention, prévient Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine, la basilique « n’est pas un lieu qui se donne facilement à la compréhension ». « Pour un Européen, elle ne ressemble pas du tout à une église, du fait de son architecture compliquée, comme un bricolage à partir d’une succession de basiliques détruites », explique-t-elle.
D’autant qu’en période normale – c’est-à-dire où le Covid-19 ne perturbe pas les mouvements de vie – pèlerins et touristes affluent chaque jour vers ce lieu saint, rendant plus difficile le recueillement… Sans oublier que la basilique est partagée par plusieurs confessions chrétiennes, avec des règles de coexistence qui rendent souvent l’ensemble encore plus confus. « J’ai mis près de vingt ans à aimer le Saint-Sépulcre », confie ainsi celle qui vit en Terre sainte depuis plus de trois décennies.
Nuit blanche de prière
Il existe néanmoins une possibilité méconnue pour prier dans les meilleures conditions dans la basilique hiérosolymitaine : s’y laisser enfermer la nuit, pour se dédier à la prière alors que l’obscurité règne. « J’entends encore le bruit puissant de la porte de l’église qui se referme, comme la pierre qu’un soldat romain aurait roulée devant le tombeau du Christ, et le silence qui s’installe dans l’édifice », se souvient Paul qui a vécu cette expérience il y a quelques années, avec celle qui était alors sa fiancée – un moment très fort dans leur détermination à fonder ensemble un foyer, souligne celle qui est désormais son épouse. « S’ensuit alors le début d’une nuit intense, émouvante, de prière dans les différentes pièces qui composent l’église du Saint-Sépulcre », poursuit Paul.
Profitant de vivre à Jérusalem, Marie-Armelle Beaulieu est presque une habituée de ces nuits blanches en prière. « C’est un exercice physique mais une expérience magnifique », témoigne celle qui la vit « au minimum » une fois par an. « C’est très important de pouvoir prendre le temps, sans distractions, de méditer sur toute la basilique, confie-t-elle. Ce sont des moments uniques qui permettent de rentrer dans l’intimité du lieu et de ce qu’il signifie : à cet endroit très précis, le seul dans l’univers tout entier, le Christ a sauvé le monde, dans un Salut qui est déjà total. » Prier dans la basilique du Saint-Sépulcre, poursuit Paul, « c’est l’impression d’être hors du temps, proche de l’évènement qui a bouleversé l’histoire du monde et qui continue à bouleverser nos vies de croyants ».
Au terme de la nuit, viennent les lueurs du jour nouveau. « C’est un lieu qui nous rend contemporains des apôtres, et nous sommes comme eux au matin de Pâques, raconte encore Marie-Armelle Beaulieu. Quand on visite ce lieu, il n’appartient qu’à nous de vivre comme des apôtres d’aujourd’hui et d’en ressortir bouleversés. » Les mots de Paul sont similaires. « Au petit matin, nous nous sommes sentis en union avec sainte Marie-Madeleine, saint Jean et saint Pierre, qui avaient découvert le tombeau vide, un peu interloqués nous aussi par la richesse spirituelle de cette expérience au cœur de ce lieu mystérieux. »
Se laisser purifier
Vide. Le mot est dit. C’est tout le paradoxe de ce lieu : au Saint-Sépulcre, on vient voir une absence, un tombeau dépouillé. Marie-Armelle Beaulieu en témoigne avec enthousiasme : « Dans l’absolue nudité de la pierre, on fait la rencontre du Christ ressuscité, justement parce qu’il n’y a rien ! “Il vit, et il crut” (Jn 20, 8) nous dit l’évangéliste ; mais que vit-il ? Rien ! Au Saint-Sépulcre, il n’y a rien à voir et c’est justement cela qui nous fait croire. » Dans son homélie, lors de la messe qu’il célébrait à l’intérieur de la basilique à l’occasion de son pèlerinage jubilaire en Terre sainte pour l’an 2000, le pape Jean-Paul II ne disait pas autre chose. « Le tombeau est vide. Il est un témoin silencieux de l’évènement central de l’histoire humaine : la Résurrection de notre Seigneur Jésus Christ. Pendant presque deux mille ans, le tombeau vide a témoigné de la victoire de la Vie sur la mort. »
Et ce vide au cœur de la foi permet de mieux appréhender cette basilique, avec son architecture si particulière, si déstabilisante. « Le Saint-Sépulcre est décevant si on s’attend à ce que son architecture ou son ambiance reflète le mystère dont elle est porteuse, insiste la rédactrice-en-chef de Terre Sainte Magazine. On ressort déçu si on s’attend à un endroit qui par sa beauté annonce la Résurrection. » Mais justement. « L’abaissement du Christ est jusque dans le lieu lui-même. Ce n’est pas un lieu qui en met plein les yeux, il y a une discrétion jusque dans la basilique elle-même. »
« Le mystère se reflète clairement dans cette ancienne église, qui conserve le sépulcre vide, signe de la Résurrection, et le Golgotha, lieu de la crucifixion », disait encore Jean-Paul II lors de son homélie en 2000. C’est donc dans la foi que le Saint-Sépulcre se dévoile, Marie-Armelle Beaulieu l’assure. « C’est un lieu magnifique, mais pour cela il faut se laisser purifier, en entrant véritablement dans ce mouvement de la passion du Christ, de sa mort et de sa résurrection. »