La fin de l’URSS
Étonnant mois de décembre qui nous amène à commémorer deux évènements profondément liés l’un à l’autre. En effet, il y a quarante ans, le 13 décembre 1981, le général Wojciech Jaruzelski proclamait l’« état de guerre » en Pologne afin de mettre fin aux mouvements d’opposition du fameux syndicat Solidarnosc, qui défiait le pouvoir communiste en place. Or, dix ans après quasiment jour pour jour, le 21 décembre 1991, les représentants des onze républiques soviétiques signaient l’acte de décès de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Au cours de cette décennie, Rome a joué un rôle politique décisif qui a commencé le 16 octobre 1978 avec l’élection du premier pape slave de l’histoire : Jean Paul II.
Replaçons-nous dans le contexte de l’époque : dans les dernières années précédant son élection, Karol Wojtyla était devenu la figure principale d’opposition aux autorités communistes polonaises : « le plus contrôlé, le plus espionné, en somme, celui qu’on jugeait sûrement comme le plus dangereux » (Stanislas Dziwisz). Une fois élu, le nouveau pape change radicalement la politique du Saint-Siège à l’égard du communisme. Il fait part de sa volonté de se rendre en Pologne, sans même prendre de précautions auprès du gouvernement polonais qu’il met au pied du mur ! Le voyage a lieu au mois de juin 1979. Plus de trois millions de personnes se rendent dans la capitale polonaise alors que la ville comptait un million et demi d’habitants : « Aucun héros de l’histoire polonaise n’était entré dans Varsovie comme le fit Jean Paul II. » (G. Weigel).
Au pacifisme de façade des autorités, Jean Paul II répond que la paix ne peut se faire que dans le respect des droits objectifs de la nation, ce qui était une remise en cause du système soviétique. Certes, le pontife prône la collaboration avec les autorités mais à la condition que la liberté religieuse soit respectée, tout comme les droits des personnes humaines. Jean Paul II s’adresse aux Polonais mais tous les Européens de l’Est se sentent concernés par ses interventions. Ce dont les autorités soviétiques ne sont absolument pas dupes. Quelques mois plus tard, le 31 août 1980, le fameux syndicat libre Solidarnosc (Solidarité) voit le jour à Gdansk : il s’agissait de la première brèche dans la citadelle du communisme.
La réaction soviétique ne se fait pas attendre mais, prévenu par les États-Unis d’une intervention militaire imminente, le pape envoie une lettre en langue française au « numéro 1 » soviétique, Leonid Brejnev. Restée sans réponse, la lettre amène pourtant les autorités à revoir leurs plans et à demander au dirigeant polonais, Wojciech Jaruzelski, de réagir. Le 13 décembre, l’État de guerre est donc proclamé : le syndicat Solidarnosc est dissous, les chars occupent les rues tandis que la police arrête 3 000 personnes dont le leader de l’opposition, Lech Walesa. Celui-ci est libéré après la mort de Brejnev, au mois de novembre 1982 et reçoit le prix Nobel de la Paix. Par crainte de ne pouvoir revenir dans son pays, il envoie son épouse le récupérer à Oslo. En effet, la répression ne faiblit pas, même si la loi martiale est levée en juillet 1983 : le père Jerzy Popieluszko, aumônier de Solidarnosc, est la figure la plus emblématique de la politique de terreur. Il est enlevé par la police politique le 19 octobre 1984 et longuement battu à mort.
En lien avec Rome, Lech Walesa négocie cependant pied à pied avec les autorités polonaises qui finissent par céder : Solidarnosc sort de la clandestinité et la pluralité syndicale et politique est acceptée. La brèche est désormais un trou béant qui emporte l’Europe communiste jusqu’au 21 décembre 1991, date de la dissolution de l’URSS. Après coup, la tentative de reprise en main par le pouvoir communiste polonais sera considérée comme l’évènement qui aura accéléré la décomposition du monde soviétique. Ce qui nous amène à une autre question : Jean Paul II a-t-il été la cause unique de la fin du régime soviétique ? Naturellement, non. Le régime est mort de ses propres contradictions politiques, de son pourrissement économique intérieur, ainsi que par la volonté et l’aspiration des peuples. Sans compter le volontarisme américain incarné par la grande figure de l’époque, Ronald Reagan.
Cependant, Jean Paul II fut un des seuls à avoir compris que c’était la fin alors même que de nombreux « experts » assuraient que le régime avait de beaux jours devant lui. Même au sein du Vatican, la vision de Jean Paul II faisait figure d’exception ! En 1992, l’ancien président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, écrivait même : « Aujourd’hui, on peut dire que rien de ce qui est arrivé en Europe de l’Est au cours de ces dernières années n’aurait été possible sans la présence de ce pape, sans le grand rôle – même politique – qu’il a su jouer sur la scène internationale. » Tout a donc commencé ce 16 octobre 1978, quand le cardinal Karol Wojtyła est apparu à la loggia de la basilique Saint-Pierre.