Dans la fabrique des saints
Quelles sont les grandes lignes d’un procès en béatification ?
Un procès se fait en deux étapes. La première étape est la phase diocésaine, c’est l’instruction du procès sous la responsabilité de l’évêque compétent. C’est le moment ou toute la documentation est rassemblée par un tribunal nommé par l’évêque. Parmi ces documents figurent notamment des témoignages, et le tribunal procède donc à des auditions. Le tribunal reçoit aussi le travail d’une commission d’historiens nommée par l’évêque pour aller chercher la documentation nécessaire dans toutes les archives possibles. S’il y a des écrits de la personne candidate à la béatification, des censeurs théologiques sont également nommés par l’évêque pour établir un rapport.
Une fois rassemblée par le tribunal, cette documentation est scellée et transmise pour étude à Rome, plus précisément au Dicastère des Causes des Saints. Celui-ci devra en résumé répondre à la question suivante concernant la personne jouissant d’une réputation de sainteté : est-ce que cette personne a vraiment vécu les vertus chrétiennes d’une manière héroïque ou est-ce que cette personne a vraiment vécu le martyre chrétien, c’est-à-dire en haine de la foi ? Si tous les feux sont verts, la cause traverse différentes étapes avant d’être transmise au pape, qui reste seul juge.
Quel est concrètement le travail du Dicastère des Causes des Saints ?
Le premier travail du Dicastère est de vérifier si la procédure a été respectée et si les preuves sont reçues et suffisantes dans les enquêtes diocésaines. Si ce n’est pas le cas, on peut demander des compléments d’enquête ou simplement les documents qui manqueraient.
Une fois que la validité juridique de l’enquête diocésaine est reconnue et concédée, commence le travail de rédaction de la positio. Quand les actes du procès arrivent à Rome, les dossiers peuvent faire plusieurs dizaines de milliers de pages et il faut résumer : c’est la positio. Celle-ci va être élaborée par un postulateur romain, sous la surveillance d’un rapporteur. C’est un peu comme une thèse écrite sous la supervision d’un directeur de thèse. Normalement, la positio ne dépasse pas le millier de pages.
Cette positio est alors transmise à des experts. Tout d’abord à des historiens s’il s’agit d’une cause historique, ou alors directement aux experts théologiens. Il s’agit de personnes externes aux dicastères. Elles vont travailler sur la cause et se rassembler pour en discuter sous la direction d’un official du Dicastère, le promoteur de la foi. Ces onze personnes – dix experts et le promoteur de la foi – vont échanger et voter un avis sur la cause, qui peut être positif, suspensif ou négatif. Dans ces deux derniers cas, la cause est renvoyée au niveau diocésain.
Si l’avis est positif, l’avis est alors transmis aux membres du Dicastère (essentiellement des cardinaux) qui vont recevoir la positio et le vote des experts. Eux aussi vont se réunir, discuter et procéder à un vote. Si celui-ci est positif, le dossier est alors transmis au pape, seul décisionnaire. Il peut alors faire le choix de signer le décret de reconnaissance des vertus héroïques du candidat à la béatification, ou de son martyre.
On voit que les décisions sont toujours le fruit de plusieurs personnes…
Tout à fait. Il n’y a pas une personne au sein du Dicastère qui s’occuperait d’un dossier du début à la fin. Les décisions ne sont jamais prises par une seule personne. Par exemple, mon travail se trouve tout en début de la phase romaine, c’est-à-dire la concession de la validité juridique de l’enquête diocésaine : je fais un rapport que je présente aux supérieurs du dicastère. Je ne prends pas la décision, c’est un collège qui le fait : à tous les niveaux, la décision est collégiale.
Et comment se passe la reconnaissance d’un miracle ?
La procédure est sensiblement la même. La différence essentielle est que dans le cas d’une guérison non expliquée, le possible miracle à l’étude est d’abord examiné par un collège de sept médecins. C’est la consulta medica. Il faut qu’au moins six d’entre eux reconnaissent que la guérison n’est pas explicable. Le dossier suit ensuite les différentes étapes, jusqu’à la reconnaissance par un décret du pape. Le vénérable peut alors être béatifié. Un second miracle sera nécessaire pour parvenir à la canonisation.
En cas de mort en martyre en haine de la foi, le premier miracle n’est pas nécessaire à la béatification, mais le reste pour la canonisation.
Combien de causes sont à l’étude au Dicastère ?
Chaque année, environ 80 causes arrivent au Dicastère, c’est-à-dire une ou deux toutes les semaines. Celles-ci proviennent de tous les pays du monde. Elles doivent toutefois être rédigées dans une des langues autorisées, à savoir l’italien, le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais. Pour les pays d’autres langues, il faudra d’abord traduire le dossier vers l’une de ces cinq langues avant de le transmettre à Rome.
Il n’y a pas de délai pour les canonisations et quelque 2 000 ou 3 000 causes sont ouvertes au Dicastère. En effet, pour nous une cause ne s’achève qu’une fois que l’on peut procéder à la canonisation.
Des causes peuvent s’enliser pendant des années pour une raison ou une autre, puis reprendre après des décennies. Pensons par exemple aux miracles, qui sont un peu comme la confirmation par Dieu du jugement de l’Église. Ainsi, le miracle peut prendre très longtemps pour venir, mais c’est le temps de Dieu !
Il y a également des causes sur lesquelles des compléments sont demandés et ceux-ci peuvent parfois mettre très longtemps à arriver, par exemple s’il y a un certain désintérêt autour de la cause. Ceci étant dit, je pense qu’environ la moitié des causes sont validées sans demande de complément.
Si certaines causes peuvent s’enliser, d’autres peuvent aller très vite. Je pense par exemple à celle du bienheureux Carlo Acutis, décédé en 2006 à 15 ans et béatifié en 2020, (cf. photo en p.13), pour qui tout a été très rapide.
Vous travaillez quotidiennement sur des dossiers de « presque saints ». Cela doit nourrir particulièrement votre foi…
En tout cas, il s’agit de personnes qui disposent d’une réputation de sainteté auprès d’une proportion non négligeable du peuple des croyants, puisque c’est cela même qui peut permettre l’ouverture d’une cause. J’ai toujours aimé les vies de saints et j’ai donc la chance de côtoyer ces histoires.
Bien sûr, tout n’est pas forcément édifiant et parmi les milliers et milliers de documents certains sont tout à fait austères. Mais en tant que canoniste cela reste très stimulant et édifiant, surtout quand j’en discute avec des confrères qui travaillent pour leur part dans des procès matrimoniaux ou dans des procès pénaux.